Il y a maintenant six ans, le 6 juillet 2013, un train de pétrole de 72 voitures sans conducteur a roulé vers le centre-ville de Lac-Mégantic au Québec à plus de 100 km/h, a déraillé et explosé, tuant 47 personnes et nivelant le centre-ville. Mais les conditions auxquelles sont confrontés les cheminots et les personnes qui vivent près des voies ferrées restent toujours aussi dangereuses, car les patrons du rail en quête de profits réclament des trains plus longs, à des vitesses plus élevées et avec des équipes réduites.
« Peu de choses ont changé depuis cette nuit-là à Lac-Mégantic, » a écrit le correspondant du New York Times, Ian Austen, lors de sa visite dans la région pour un article dans le numéro du 16 juillet. « Le cœur de la ville reste un terrain vague, le centre-ville autrefois dynamique, est maintenant couvert de mauvaises herbes. »
Mais ce sont les voies ferrées qui ont d’abord été reconstruites dans le centre-ville et remises en service, car les patrons de la région en dépendent pour tirer profit des expéditions à destination et en provenance des usines de la ville. En dépit des six années d’usure qui se sont ajoutées, l’entretien des voies « n’a pratiquement pas changé depuis le désastre, » écrit le Times.
Tous les discours affligés des autorités depuis la catastrophe n’empêchent pas les déraillements et les décès de se poursuivre, tant au Canada qu’aux États-Unis. Au Canada, en 2017 seulement, 62 trains ont roulé « hors contrôle. »
Les résidents de Lac-Mégantic ont demandé la construction d’une voie de contournement ferroviaire autour de la ville pour les trains qui transportent des matières dangereuses, mais les gouvernements fédéral et du Québec ont été lents à agir. Ils ont finalement accepté l’année dernière de financer un tel projet, mais en prévoyant le terminer dans quatre ans.
Après Lac-Mégantic, Transports Canada, l’organisme national de réglementation, a ordonné aux compagnies de chemin de fer de revoir l’emplacement des voies pour éviter que des marchandises dangereuses passent près de zones urbaines. Lorsque le journaliste du Times a demandé aux deux principales compagnies canadiennes de chemin de fer, le Canadien Pacifique et le Canadien National, ce qu’elles avaient changé, elles ont refusé de répondre, en transférant le document à l’Association des chemins de fer du Canada, leur groupe de pression. L’Association a également refusé de répondre, invoquant de prétendues « raisons de sécurité. »
L’Administration américaine fédérale des chemins de fer a déclaré au Times qu’une telle cargaison est rarement déroutée car « les solutions de remplacement peuvent augmenter le temps de transit global, » c’est-à-dire réduire les profits.
« Blâmer les travailleurs »
Les patrons du rail et le gouvernement canadien ont essayé de blâmer les travailleurs pour la catastrophe de Lac-Mégantic. Mais le seul « équipage » dans le train était le conducteur de train Tom Harding. Pour réduire les coûts, les patrons avaient obtenu du gouvernement une dispense spéciale pour travailler avec un équipage composé d’une seule personne et fonctionnant sur des quarts de travail de 12 heures.
Conformément aux procédures de la compagnie, lorsqu’il avait quitté le train pour la nuit, Tom Harding avait laissé le moteur principal en marche pour actionner les freins pneumatiques. Il avait également appliqué les freins à main pour empêcher le train de rouler. Au cours de la nuit, les pompiers, appelés pour éteindre un petit incendie — causé par le manque d’entretien par la compagnie — ont coupé le moteur, ce qui a purgé les freins pneumatiques. Sans freins à air comprimé, le train a roulé vers la ville de Lac-Mégantic et a explosé.
Après un procès de trois mois l’année dernière, le jury a trouvé Thomas Harding, Richard Labrie, contrôleur de train, tous deux membres de la section locale 1976 du Syndicat des Métallurgistes, et Jean Demaître, un ancien petit directeur de la défunte Montreal, Maine and Atlantic Railway, « non coupables » sur tous les chefs d’accusation relatifs au décès de 47 personnes.
« Ce verdict est une victoire pour les travailleurs, » a déclaré à l’issue du procès Gilbert Carette, membre de la Coalition des citoyens et organismes pour la sécurité ferroviaire à Lac-Mégantic, qui lutte pour un contournement ferroviaire. « Cette tragédie, causée par la négligence de l’entreprise et la déréglementation du secteur ferroviaire par le gouvernement, a été placée sur les épaules de travailleurs innocents. »
« Un équipage d’une seule personne ne devrait jamais exister, » a dit J.C., un cheminot de Montréal qui a demandé que son nom ne soit pas utilisé. Le gouvernement ne devrait pas « donner carte blanche à une entreprise privée pour organiser et évaluer la sécurité. »
Le nombre de déraillements, de blessures et décès de travailleurs des chemins de fer nord-américains augmente à mesure que les patrons essaient d’imposer des attributions de tâches effectuées à un rythme plus rapide avec moins de personnel et un entretien inadéquat de la voie ferrée. Ce nouveau modèle opérationnel, conçu pour accroître les profits, est appelé « exploitation ferroviaire précise. » Ce système, utilisé d’abord au Canada et maintenant étendu à la plupart des grands chemins de fer américains, est centré sur un chargement plus rapide des wagons par les expéditeurs, l’assemblage de trains de plus de 200 wagons par des équipes d’une seule personne qui utilise une télécommande et une bataille pour réduire les équipages de train à un seul membre.
Plus de 1 300 déraillements en 2018
Selon l’Administration américaine fédérale des chemins de fer, plus de 1 300 trains ont déraillé aux États-Unis l’année dernière et 230 jusqu’à présent cette année.
« Ne pas savoir à quelle heure nous allons travailler rend les opérations dangereuses, » a dit au Militant Philippe Bourdon-Tremblay, cheminot au Québec depuis cinq ans. « Les mêmes patrons qui travaillent pendant des heures de bureau exigent que nous soyons en disponibilité 24 heures sur 24, 365 jours par année, avec, la plupart du temps, un préavis de seulement deux heures avant le début du travail. L’entretien des équipements par les patrons est minime parce qu’investir dans la sécurité des employés n’est pas rentable. »
Trois travailleurs du rail ont été tués en février lorsqu’un train du Canadien Pacifique de 112 wagons-trémies chargés de grain dont les freins pneumatiques étaient purgés a dévalé une pente abrupte en Colombie-Britannique. En juin, un train de marchandises d’Union Pacific chargé de bombes et d’autres munitions militaires a déraillé près d’Elko, dans le Nevada.
Et les patrons du rail s’efforcent de faire rouler des trains encore plus longs et plus lourds. Plus tôt cette année, un train de charbon de 278 wagons, d’une longueur de quatre kilomètres, a été envoyé comme « test » d’une mine du bassin de la rivière Powder au Wyoming à une centrale électrique au Wisconsin.
« Nous devrions lutter pour des trains qui n’ont pas plus de 50 wagons, avec des équipes de quatre personnes composées de deux ingénieurs dans la locomotive et deux cheminots à l’arrière du train, » a expliqué Joe Swanson, un cheminot à la retraite avec 31 ans d’expérience. Il a récemment été candidat du Parti socialiste des travailleurs à la mairie de Lincoln au Nebraska. « Pour gagner un lieu de travail sécuritaire, nous devons utiliser le pouvoir syndical et lutter pour le contrôle ouvrier. »