L’impérialisme est le pyromane des forêts tropicales du Brésil

Róger Calero
le 7 octobre 2019

Les médias libéraux ont consacré beaucoup de place aux incendies en cours en Amazonie, avec des appels venant de célébrités « inquiètes », d’environnementalistes et de chefs d’États impérialistes, pour « sauver la forêt tropicale. »

À la fin août, plus de 93 000 feux étaient en cours en Amazonie brésilienne, le nombre le plus élevé depuis 2010. Mais il ne s’agit pas d’un changement qualitatif par rapport à une situation antérieure.

Les libéraux et la gauche petite-bourgeoise rejettent l’essentiel de la responsabilité pour les récents incendies sur le président Jair Bolsonaro, qu’ils comparent au président Donald Trump. La politique et la rhétorique de Bolsonaro ont encouragé la culture sur brûlis par les agriculteurs capitalistes et les exploitations forestières et minières.

Mais les mesures mises en œuvre par les gouvernements capitalistes aussi bien de gauche que de droite dans le spectre politique bourgeois ont été responsables à part égale de la déforestation de l’Amazonie. La plus grande différence entre Bolsonaro et ses prédécesseurs, c’est que lui ne fait pas semblant de s’intéresser aux inquiétudes environnementales et aux populations indigènes vivant dans ces zones.

Selon les informations de Human Rights Watch, plus de 300 personnes, y compris de nombreux membres des communautés indigènes et de petits agriculteurs locaux, ont été tués au cours de la dernière décennie, essentiellement par des bandes criminelles embauchées et payées par les grands propriétaires terriens et les grands exploitants forestiers.

Sous le gouvernement de Dilma Roussef, encensé par la gauche, la loi forestière a été réformée pour réduire le nombre de zones protégées dans la jungle et la savane.

Quels sont les faits ?

Un regard plus attentif permet de mettre en perspective l’histoire du Brésil et sa politique vis-à-vis de l’Amazonie.

Bien que quelques chiffres indiquent qu’il y a eu une augmentation du nombre de feux depuis 2018 – ceux déclenchés naturellement, y compris à cause de la sécheresse, et ceux causés par les feux provoqués pour dégager des terres à cultiver – 2019 n’est tout simplement pas l’année la plus catastrophique en matière d’incendies au cours de l’histoire récente.

La NASA, qui a enregistré les données sur ces feux depuis 1998 à partir de l’espace, a indiqué que 2019 a connu l’activité des feux de forêt la plus importante depuis presque dix ans. Mais la pire année a été 2005, avec plus de 142 000 feux au cours des huit premiers mois, selon un rapport de BBC News.

La déforestation de l’Amazonie pour étendre l’agriculture capitaliste, l’élevage, l’exploitation forestière et minière légale et illégale, et la construction de routes et de barrages, se développent depuis des décennies.

Cette déforestation s’est encore accrue dans les années 1960 après que l’armée brésilienne a renversé le gouvernement de João Goulart et imposé une dictature brutale de 1964 à 1985. Elle a poussé à l’utilisation d’incendies pour étendre l’élevage à grande échelle à une époque où les prix de la viande de bœuf étaient élevés et avec beaucoup d’espoir concernant la croissance économique du pays et la possibilité de rembourser sa dette internationale. Environ 80 000 kilomètres carrés de forêts antérieurement non coupées ont été brûlés en 1987, une zone équivalant au double de la superficie de la Suisse.

La destruction n’est pas limitée à l’Amazonie brésilienne. En Bolivie, le président Evo Morales a autorisé cette année le nettoyage et le brûlage « contrôlés » de forêts dans la région amazonienne de ce pays, qui a fait flamber près de 10 000 kilomètres carrés près de sa frontière avec le Brésil et le Paraguay. Au Pérou et au Venezuela, l’exploitation minière légale et illégale d’or et d’autres minéraux a détruit des milliers de kilomètres carrés de forêt tropicale amazonienne.

L’impérialisme nourrit la dépendance

Malgré ses ressources naturelles abondantes – des sols cultivables à rendement élevé, du pétrole et du gaz naturel, des ressources hydroélectriques, ainsi que des métaux essentiels à la production industrielle mondiale – l’Amérique latine a été exploitée et maintenue en état de sous-développement par les États-Unis et les autres puissances impérialistes.

C’est ce qui a motivé le coup d’État de 1964 au Brésil, préparé et mis en oeuvre avec la pleine participation des dirigeants américains pendant les présidences de John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson.

Ces deux démocrates libéraux étaient déterminés à maintenir le contrôle de Washington sur les ressources du Brésil et à empêcher la répétition de la révolution cubaine. La dictature qu’ils ont soutenue et armée a éliminé tous les droits politiques au Brésil.

Le boom le plus récent des exportations de produits agricoles, au profit du capital national et étranger, a débuté en 2003 et a duré une décennie, jusqu’à l’effondrement des prix des marchandises. Il a entraîné l’expansion de la production agricole au Brésil, en Bolivie, en Argentine et dans d’autres pays d’Amérique du Sud afin de répondre à la demande mondiale. Les monopoles américains de la production alimentaire tels que Archer Daniels Midland, Bunge et Cargill sont parmi les pillards impérialistes qui profitent le plus des marchandises agricoles produites par les travailleurs brésiliens et ils contribuent ainsi à la prolifération des incendies.

Le contrôle économique et technologique exercé par les monopoles et les institutions financières impérialistes maintient la dépendance perpétuelle de l’Amérique latine, de l’Asie et de l’Afrique au sein de l’ordre impérialiste. Leurs méthodes incluent la manipulation des prix des produits d’exportation, les prêts de « développement » à taux d’intérêt élevé, la surévaluation continue du dollar, les barrières protectionnistes et, lorsqu’il est rentable, le dumping des produits excédentaires.

Les puissances de l’Union européenne appliquent actuellement des mesures protectionnistes dans le cadre des négociations avec le bloc commercial Mercosur, qui comprend l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.

Une alternative ouvrière

Depuis la montée de l’ordre capitaliste mondial, l’humanité est confrontée à des questions de vie ou de mort qui proviennent de la ruine accélérée du travail et de la nature par le capital et de ses effets sur des centaines de millions de travailleurs, affirme la déclaration de 2007 du Parti socialiste des travailleurs intitulée « L’intendance de la nature incombe aussi à la classe ouvrière : en défense de la terre et du travail. »

Ces observations des dirigeants du SWP sont importantes pour trouver la voie à suivre afin de progresser sur ces questions, y compris sur la question des forêts amazoniennes et des incendies.

La déclaration met en garde contre le cours sans issue de la politique « verte » et de « l’écologisme ». Ce cours empêche la classe ouvrière de se battre pour résoudre les contradictions engendrées par l’exploitation capitaliste. Le seul moyen de mettre fin à l’exploitation impérialiste et de promouvoir une défense efficace du travail et de la terre, de l’eau et de l’atmosphère est de lutter pour un parti des travailleurs. C’est seulement en adoptant ce cours que « sera libéré le potentiel créateur et productif de la transformation de la nature par l’humanité. »

Les mobilisations des paysans et des travailleurs au Burkina Faso de 1983 à 1987, dirigées par le gouvernement révolutionnaire de Thomas Sankara, en sont un bon exemple. En raison de sa position parmi les pays les plus pauvres du monde, résultat du régime colonial français, les travailleurs de ce pays d’Afrique de l’Ouest ont entrepris le développement agricole en même temps qu’ils ont planté des millions d’arbres et mis en place des projets d’irrigation pour arrêter l’avancée du désert. Ils y sont arrivés en même temps qu’ils menaient des campagnes massives de vaccination et d’alphabétisation et qu’ils défendaient les intérêts des travailleurs.

La « lutte pour la défense des arbres et des forêts est avant tout une lutte contre l’impérialisme, » a déclaré Thomas Sankara en 1986 lors d’une conférence à Paris, « car l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes. »