L’embargo contre la révolution cubaine par les États-Unis est une politique d’État depuis 60 ans

José Ramón Cabañas
le 7 décembre 2020

Nous reproduisons ici quelques extraits d’une présentation de José Ramón Cabañas à l’ouverture d’un webinaire sur la « Normalisation des relations États-Unis-Cuba, » les 14 et 15 novembre.
 

José Ramón Cabañas, ambassadeur de Cuba aux États-Unis.
José Ramón Cabañas, ambassadeur de Cuba aux États-Unis.

Le blocus des États-Unis contre Cuba est la guerre économique la plus grande et la plus totale, et pas seulement en termes économiques, contre n’importe quel pays. Son objectif principal est de renverser la révolution cubaine.

Nous citons toujours le mémorandum de Mallory. Lester Mallory était un bureaucrate du département d’État des États-Unis en 1960. Il a écrit une note disant, en substance, que la révolution cubaine avait un large soutien au sein de la population cubaine, qu’il n’y avait fondamentalement aucune opposition au niveau national à Cuba, et que pour renverser la révolution cubaine, les États-Unis se devaient de faire capituler le peuple cubain par la faim, en imposant des pressions économiques.

C’était bien avant la proclamation [de 1962] du président [John F.] Kennedy imposant l’embargo contre Cuba. Si nous lisons cette proclamation 3447, le principal argument utilisé pour imposer l’embargo contre Cuba concernait les relations entre Cuba et la République populaire de Chine ainsi que l’ancienne Union soviétique. Mais aujourd’hui, l’Union soviétique n’est plus là et la Chine est le plus grand partenaire commercial avec les États-Unis.

C’est une politique d’État. Parfois, les gens associent le blocus contre Cuba à un président en particulier. Le fait est que 12 présidents américains ont appliqué le blocus.

Je veux simplement mentionner la complexité de toute la structure du blocus. Plusieurs éléments de celui-ci sont liés à la loi sur le commerce avec l’ennemi de 1917 et à la loi sur l’aide à l’étranger de 1961.

J’ai mentionné la proclamation 3447 décrétée en 1962 par le président Kennedy. Il y a aussi le règlement relatif au contrôle des avoirs cubains du département du Trésor imposé en 1963. Il y a également la loi de 1979 sur l’administration des exportations.

Il y a la soi-disant loi sur la démocratie cubaine, ou loi Torricelli, de 1992. Le gouvernement américain dit qu’il s’agit simplement d’une question bilatérale n’impliquant que les États-Unis et Cuba. Eh bien, si vous lisez le projet de loi Torricelli, il est tout à fait clair qu’il essaie d’appliquer le blocus à des pays tiers. Le projet de loi Torricelli vise à limiter les relations commerciales avec Cuba des entreprises américaines dans les pays tiers.

Ensuite, vous avez la loi Helms-Burton, ou soi-disant loi sur la liberté et la solidarité démocratique à Cuba de 1996. Ce nom est une mauvaise blague. C’est probablement la loi concernant l’embargo qui est la plus globale.

Et vous avez l’article 211 de la loi sur les crédits supplémentaires d’urgence de 1999. Cet article est unique. Son objectif est de ne pas reconnaître les marques cubaines aux États-Unis.

Enfin, il y a la loi de 2000 sur la réforme des sanctions commerciales et le développement des exportations, avec de nouvelles réglementations concernant le blocus.

Ce blocus a été mis en place il y a 60 ans. Plusieurs sénateurs et représentants du Congrès américain ont tenté de le modifier, ou du moins d’en modifier une partie. Jusqu’à présent, ils n’ont pas réussi.

On l’a maintenu pendant les années de l’administration Obama. Et cela même s’il y a eu ce qu’on appelle un rapprochement : nous avons alors établi des relations diplomatiques et signé 22 mémorandums de compréhension couvrant différents domaines, de l’agriculture à l’environnement, en passant par la santé publique.

Mais le blocus, qui est au cœur de la politique étatique des États-Unis contre Cuba, a continué de s’appliquer. Pendant l’administration Obama, les sanctions et d’autres mesures s’appliquaient toujours, comme des amendes imposées aux banques étrangères pour limiter les transactions financières avec Cuba.

Il est important de s’en rappeler. Même au moment, probablement le plus positif que nous ayons eu dans les relations bilatérales durant les dernières années, le blocus s’appliquait.

Maintenant, qu’est-il arrivé durant les quatre dernières années sous la gouverne de Trump ? Nous avons eu environ 235 nouvelles initiatives contre Cuba dans une variété de secteurs. C’est une politique pour faire capituler le peuple cubain par la pression économique, en limitant l’approvisionnement de Cuba en pétrole et autres marchandises.

Le blocus a un impact sur chaque secteur de la vie cubaine, de l’éducation à la santé publique, de l’agriculture au commerce.

Il limite aussi les possibilités pour les gens aux États-Unis. Pour ne mentionner qu’un exemple, la possibilité d’exporter des marchandises agricoles américaines à Cuba, qui serait pourtant un marché naturel.

Vous avez vu comment les voyages américains à Cuba avaient pris de l’expansion. Environ cinq millions et demi d’Américains et de Cubains américains ont visité Cuba entre 2015 et le début de 2019.

Il y a une importante communauté de Cubains américains aux États-Unis et ils ont souffert sous l’impact de ces règlementations. Dans les deux dernières années seulement, le gouvernement américain a adopté 121 décisions pour limiter les voyages à Cuba et les envois de fonds aux familles.

Soixante ans de blocus, c’est trop. Soixante ans d’une politique ratée, d’un fiasco, il est temps d’essayer autre chose.

Respect mutuel et réciprocité

Vous avez probablement des questions ou des commentaires par rapport au résultat des dernières élections aux États-Unis. Parmi les Américains, beaucoup ont commencé à espérer qu’on puisse construire de nouvelles relations avec Cuba.

Nous restons ouverts à n’importe quelle forme d’échange, si on respecte les principes de respect mutuel et de réciprocité. Ce sont les deux clefs pour n’importe quelle relation future entre Cuba et les États-Unis. Avec le président à venir ou avec n’importe quelle administration du futur.

Nous avons entendu les déclarations publiques des candidats. Nous avons entendu les déclarations de gens qui pourraient être associés au nouveau gouvernement. Mais Cuba n’adapte pas une politique parce que quelqu’un a été élu. Nous ne définissons pas nos politiques en fonction de gens spécifiques. Les principes de notre politique étrangère ne changent pas.

Nous comprenons que nous avons et allons avoir nos différents avec les États-Unis. Nous les avons énumérés en 2015 et 2016. Mais nous croyons que, pour le bénéfice de nos populations, pour le bénéfice du monde et de la région, nous devons trouver un terrain d’entente sur plusieurs questions.

Le blocus contre Cuba a toujours été un acte de guerre. Mais aujourd’hui, c’est aussi un crime de maintenir et de renforcer ce blocus dans les conditions d’une pandémie de COVID-19. Et à aucun moment, pas même une seule fois durant la dernière année, la présente administration américaine n’a enlevé une mesure. Tout le contraire. Ils ont sévèrement renforcé les limitations auxquelles les Cubains ordinaires font face à cause du blocus.

Avec un peu de chance, notre combat commun contre la COVID aux États-Unis, dans cette région, dans cet hémisphère, pourrait être une opportunité pour tous nos pays de coopérer. Non seulement pour trouver un remède, mais aussi pour trouver un meilleur futur pour nos peuples.