MONTRÉAL — Les camionneurs au Canada, propriétaires-exploitants et employés d’entreprise, font face aujourd’hui à une série d’attaques de la part d’expéditeurs, de patrons de camions, d’agences gouvernementales fédérales et provinciales et à la flambée des prix du carburant.
Ils ont déposé plus de 4 800 plaintes auprès d’Emploi et Développement social Canada pour salaires impayés et autres abus en matière d’emploi au cours des trois dernières années. Pourtant, le ministère fédéral du Travail, qui défend les intérêts des patrons et non des travailleurs, n’a pas infligé une seule amende aux entreprises de camionnage pour ces abus.
Des camionneurs de Brampton, en Ontario, mènent une lutte contre ce genre de vol de salaire. Les patrons des entreprises de camionnage les classent à tort comme des entrepreneurs indépendants qui possèdent leurs propres camions, plutôt que comme des employés. Ils le font pour éviter de respecter les protections de base des travailleurs, telles que le salaire minimum, les heures supplémentaires, les congés payés ou l’indemnisation pour blessures.
La lutte est menée par le Réseau de soutien Naujawan, composé de travailleurs et d’étudiants de la région de Brampton, principalement du Pendjab en Inde. Ils organisent des manifestations devant les domiciles des patrons d’entreprises de camionnage qui refusent de payer aux camionneurs ce qui leur est dû.
Près de 20 % des plus de 324 000 camionneurs au Canada sont originaires de l’Asie du Sud, dont plus de la moitié de ceux des régions de Toronto et de Vancouver.
Un autre groupe de camionneurs, qui font des allers-retours à travers la frontière américaine, se battent contre les obligations de vaccination imposées par le gouvernement canadien le 15 janvier, qui les empêchent d’obtenir ce travail. Ils ont lancé une série de « Convois de la liberté » dans différentes villes, dont Ottawa, la capitale. Ces actions ont attiré d’autres participants, dont certains politiciens de droite, et ont fait l’objet d’une large publicité dans les médias. Et ils ont été la cible du venin hystérique du gouvernement et des patrons de l’Alliance canadienne du camionnage.
Arshdeep Singh Kang, un routier de 30 ans basé à Brampton et l’un des organisateurs de la manifestation, rapporte que Gill World Logistics lui doit plus de 3 000 $ CA. Du coup, « je n’avais pas d’argent pour payer mon loyer, mon assurance auto, mes courses », a-t-il expliqué. Bien qu’il n’ait jamais possédé son camion, il a été classé par Gill World comme entrepreneur indépendant.
Le Toronto Star s’est entretenu avec 10 camionneurs qui disent que 10 entreprises de camionnage leur doivent plus de 200 000 $ CA. Ils ont souligné le fait que le taux d’infractions aux règlements de sécurité par ces entreprises était six fois plus élevé que celui d’une entreprise de camionnage moyenne de l’Ontario.
Rommel Navarra, un camionneur originaire des Philippines qui transporte des téléviseurs dans l’est du Canada et aux États-Unis, a parlé au Militant à un relais routier des conditions de travail dangereuses auxquelles les camionneurs sont souvent confrontés.
« Parfois, lorsque le répartiteur me dit de faire des choses, je refuse parce que ce n’est pas sûr, comme monter sur la plate-forme d’un camion pour sécuriser quelque chose sans équipement de sécurité personnel », a-t-il dit. Comme Arshdeep Singh Kang et de nombreux autres camionneurs canadiens salariés, Navarra n’est pas syndiqué.
Discussion sur le convoi
Une discussion animée a lieu entre camionneurs et autres travailleurs pour savoir si le convoi sert leurs intérêts.
Dave Ridell, un agriculteur de 59 ans d’Alliston, en Ontario, qui transporte ses propres grains jusqu’au marché, s’est joint avec sa femme au convoi à Ottawa dans l’espoir que cela conduira à la levée de toutes les obligations de vaccination. « Le nombre de personnes qui sont en chômage parce que c’est leur choix personnel de se faire vacciner ou non, ce n’est pas juste, tout simplement totalement injuste », a-t-il dit à la presse.
Mais Arshdeep Singh Kang pense que le convoi ne « représente pas les problèmes qu’il devrait défendre.« Le vol de salaire est un problème majeur dans toute l’industrie du camionnage, pas seulement à Brampton. L’inflation nous frappe durement, a-t-il dit. Le coût du camionnage augmente chaque jour, mais on s’attend toujours à ce que les camionneurs travaillent aux taux qu’ils étaient payés dans les années 80.
« Demandez à n’importe quel camionneur qui traverse l’Ouest canadien ou le Nord de l’Ontario à quel point ces routes sont dangereuses, a ajouté Kang. Il n’y a pratiquement aucune aire de repos.
« Ce sont les vraies questions qui devraient tous nous unir, pas les obligations de vaccination ».
Le convoi est utilisé par une aile des politiciens capitalistes du Canada pour faire avancer leur programme anti-ouvrier. Ses deux principaux porte-parole ne sont pas des camionneurs : Tamara Lich, secrétaire du parti séparatiste et pro-capitaliste Maverick dans l’Ouest canadien, et B. J. Dichter, candidat du Parti conservateur aux élections fédérales de 2015, sont tous deux connus pour leurs opinions anti-islamiques.
La plupart des pancartes du « convoi de la liberté » d’aujourd’hui ne sont pas axées sur les problèmes auxquels les camionneurs sont confrontés mais sur l’opposition à la « tyrannie » et les appels à la « liberté ».
Le gouvernement menace et attaque les droits
Le premier ministre du Canada, le chef du Parti libéral Justin Trudeau, et des dizaines d’autres représentants du gouvernement et experts des médias ont fustigé les centaines de camionneurs et autres personnes qui ont pris part au convoi. Lors d’une conférence de presse tenue le 26 janvier, Trudeau les a accusés d’être une « petite minorité marginale » aux « opinions inacceptables » et a refusé de les rencontrer. Il a affirmé que les « Canadiens » étaient « dégoûtés » par leur comportement.
Le langage utilisé par Trudeau et d’autres responsables est similaire à la campagne des libéraux aux États-Unis contre Donald Trump et le groupe de ses partisans et quelques autres qui se sont déchaînés au Capitole américain le 6 janvier 2021. « C’était une insurrection ! », proclament-ils, et les démocrates ont lancé d’interminables enquêtes du Congrès tandis que le FBI et le département de la Justice avaient déposé des centaines d’accusations criminelles.
Dans les deux pays, la véritable cible du venin sont les travailleurs, dont ont peur les familles capitalistes au pouvoir et leurs acolytes méritocrates.
Même si la police et les médias canadiens admettent que les manifestations du convoi ont été majoritairement pacifiques, le maire d’Ottawa, Jim Watson, a imposé l’état d’urgence le 6 février. Le chef de la police, Peter Sloly, a déclaré : « C’est une menace pour la démocratie, c’est une insurrection à l’échelle nationale, c’est de la folie. »
Catherine McKenna, ancienne ministre libérale, a réagi à la manifestation d’Ottawa par un gazouillis : « Il est temps que le Canada réglemente les entreprises de médias sociaux afin qu’elles cessent de promouvoir la violence et la haine. »
Le Parti communiste du Canada a qualifié le convoi de « mouvement dangereux » et a appelé le gouvernement à adopter de nouvelles lois restreignant les droits politiques, notamment « la désignation des groupes haineux comme organisations criminelles. »
« Tout cela alimente les démarches du gouvernement visant à restreindre les droits politiques de la classe ouvrière et notre capacité à protester », a déclaré au Militant Philippe Tessier, candidat de la Ligue communiste à l’élection partielle provinciale du Québec dans la circonscription de Marie-Victorin à Longueuil. Il est chef de train au Canadien National et membre du syndicat des Teamsters. « Les travailleurs doivent s’opposer aux attaques du gouvernement et des policiers contre le convoi.
« Le mouvement ouvrier doit faire campagne pour que tous les travailleurs se fassent vacciner. Nos syndicats doivent ouvrir leurs locaux pour rendre la vaccination plus accessible à leurs membres et à tous. Cela aidera les travailleurs à obtenir et à garder un travail et nous mettra en meilleure position pour lutter contre les attaques des patrons, organiser les travailleurs dans les syndicats et construire la solidarité avec les luttes syndicales.
« Mon parti s’oppose aux obligations gouvernementales de vaccination. La classe ouvrière n’a pas intérêt à donner aux dirigeants capitalistes le pouvoir arbitraire de nous imposer des restrictions contraignantes, a dit Philippe Tessier. Une fois obtenus, ils utiliseront ces pouvoirs pour attaquer les protestations sociales et les luttes syndicales.
« La lutte des camionneurs de Brampton contre le vol des salaires montre la voie à suivre, a-t-il ajouté. Ils méritent le soutien de l’ensemble du mouvement syndical. »