Les manifestations en Iran s’étendent, gagnent de l’appui et défient le régime

Seth Galinsky
le 7 novembre 2022
Immense foule le 26 octobre au cimetière de Saqqez, dans la région kurde de l’Iran, ville natale de Mahsa Amini, 40 jours après sa mort aux mains de la police de la « moralité » de Téhéran. Les manifestations ne cessent de croître.
Immense foule le 26 octobre au cimetière de Saqqez, dans la région kurde de l’Iran, ville natale de Mahsa Amini, 40 jours après sa mort aux mains de la police de la « moralité » de Téhéran. Les manifestations ne cessent de croître.

Les 23 et 24 octobre, partout en Iran, des enseignants ont participé à trois jours de deuil puis ont tenu des « sit-in » dans les écoles primaires et secondaires du pays en réponse à l’appel du Conseil de coordination des associations syndicales des enseignants iraniens pour « protester contre la répression systématique des enseignants, des étudiants et du noble peuple d’Iran ». 

Des dizaines de milliers d’étudiants d’université et du secondaire ont intensifié leurs manifestations. Dans un élan de solidarité, des commerçants, notamment dans la région kurde, ont fermé leurs portes. Inspirés par le mouvement et contribuant à le renforcer, les travailleurs d’un nombre croissant d’usines se mettent en grève pour faire valoir leurs propres revendications. 

Les manifestations ont commencé après la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre. La jeune femme, dont le vrai nom kurde était Jina, visitait Téhéran. Elle est morte trois jours après s’être effondrée à la suite de son arrestation par la police de la « moralité », prétendument pour ne pas avoir respecté à la lettre le code vestimentaire obligatoire. Rares sont ceux qui croient à l’histoire officielle selon laquelle sa mort serait due à un problème médical sous-jacent. 

Sa mort a fait surgir une colère jusque-là refoulée envers l’oppression des femmes, les conditions abusives auxquelles sont confrontées les nationalités opprimées, comme les Kurdes, la répression brutale de ceux qui se mettent en travers du chemin des dirigeants, la discrimination à l’encontre des musulmans sunnites par le gouvernement basé sur les chiites, la détérioration des conditions économiques et le prix payé par les travailleurs utilisés comme chair à canon par le régime clérical bourgeois dans ses aventures militaires réactionnaires à travers la région.

Dans une tentative d’écraser les manifestations, qui se sont étendues à toutes les provinces et à plus de 100 villes, le régime a arrêté des milliers de personnes. Il a fait appel à la police, le Corps des gardiens de la révolution islamique et les voyous paramilitaires du Basij pour attaquer les manifestants. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes, tiré des balles en caoutchouc, des balles de peinture et des balles réelles, en particulier dans les régions où vivent des minorités opprimées, tuant des dizaines de personnes, dont au moins 14 étudiants. Mais ils n’ont pas réussi à freiner les manifestations. 

Liens entre travailleurs et étudiants

Les liens qui se tissent entre les étudiants et le mouvement ouvrier sont particulièrement inquiétants pour le régime. Le 17 octobre, deux étudiants de l’Université du golfe Persique, dans la ville portuaire de Bushehr, ont été arrêtés après avoir rejoint d’autres étudiants dans une manifestation de soutien aux travailleurs du pétrole en grève dans la ville d’Asalouyeh, majoritairement arabe. 

Le 22 octobre, les travailleurs de l’usine de chocolat Aidin à Tabriz, dans la région d’Azerbaïdjan, se sont mis en grève. Trois jours plus tard, les travailleurs de l’entreprise de fabrication de tracteurs Motorsazan de Tabriz ont débrayé, réclamant des augmentations de salaire et s’opposant à l’accélération de la production. 

Le syndicat des travailleurs en grève à l’usine de canne à sucre de Haft Tappeh, dans le Khouzistan, a publié une déclaration le 23 octobre, qui disait : « Aujourd’hui, la rue, l’école et l’université sont liées. » Le syndicat a salué les « combattants, filles et garçons, qui ont secoué le monde avec le slogan Femmes, vie et liberté ».

Les actions d’aujourd’hui s’érigent sur les fondations des puissantes protestations précédentes. À la fin de l’année 2017 et jusqu’en 2018, les travailleurs des grandes agglomérations, des petites villes et des zones rurales sont descendus dans la rue en raison du bilan amer des guerres de Téhéran au Moyen-Orient et de l’aggravation de la crise économique et sociale. Des manifestations de grande ampleur ont à nouveau éclaté en 2019, entraînant aussi bien des hommes que des femmes, ainsi que des travailleurs de toutes les religions et nationalités du pays.

Étudiants : À bas la ségrégation dans les cantines

Tasnim, un service de presse pro-islamique, a rapporté que l’Association islamique des étudiants a remis une lettre aux autorités de l’université technologique Sharif à Téhéran pour demander la fin de la ségrégation des hommes et des femmes dans les salles à manger du campus. L’école venait de rouvrir ses portes après l’attaque du 3 octobre par les brutes du Basij contre les manifestants. Sans attendre de réponse, des étudiantes sont entrées dans le réfectoire des hommes le 22 octobre. Les responsables de l’université ont alors fermé le réfectoire.

Dans une action audacieuse largement couverte par la presse iranienne, les étudiants et les étudiantes se sont alors assis ensemble dehors pour partager leur repas. Tasnim a affirmé qu’il s’agissait d’un « comportement anormal » et d’une « profanation ». Mais le World of the Economy, un quotidien iranien, a qualifié cet incident « d’évènement intéressant » où les étudiants ont mangé « comme en famille ». Les récits contradictoires relatés par les grands journaux quotidiens sont un signe des dissensions qui existent dans les cercles des dirigeants capitalistes.

Les étudiants d’autres universités ont rapidement suivi le mouvement, notamment à l’université Beheshti à Téhéran, où les étudiants ont repoussé une tentative du Basij d’empêcher la tenue d’un repas en commun.

À l’université Hakim Sabzevar dans la province de Khorasan, au nord-est de l’Iran, des acclamations et des chants de « Liberté, liberté, liberté » ont éclaté dans la cantine lorsque des femmes sont entrées dans la section réservée aux hommes. Un étudiant a écrit : « Depuis combien de temps attendons-nous ce moment ? »

Au cours de la semaine dernière, le régime a commencé à envoyer dans les campus Ali Bahadori Jahromi, le porte-parole officiel du Conseil des ministres, pour tenter de rallier les étudiants au régime. En vain.

Le 24 octobre, Bahadori n’a pas pu terminer son discours à l’université Khaje Nasir de Téhéran à cause du bruit des étudiants qui scandaient « Femmes, vie, liberté ». Bahadori a dit qu’il appréciait ce slogan et a demandé au public de le scander avec lui. Les étudiants ont alors commencé à scander « A bas le dictateur » et ont demandé la libération d’un militant étudiant arrêté lors d’une précédente manifestation. Bahadori a affirmé qu’il n’était pas au courant.

Le 25 octobre, Bahadori a été hué au point de ne pas pouvoir prendre la parole à l’Université de Qom. La ville de Qom abrite de nombreux chefs religieux chiites. Dans un auditorium bondé, les étudiants ont scandé : « Nous ne voulons pas d’invités meurtriers, nous ne voulons pas d’un système corrompu. »

Après avoir rencontré de petits groupes d’étudiants pro-régime, Bahadori a annulé toutes ses autres activités publiques dans la région.

Le régime a également calomnié les manifestants en affirmant qu’ils étaient des agents des États-Unis ou d’Israël ou qu’ils voulaient rétablir le régime de la dictature du shah Reza Pahlavi, qui a été renversé par la révolution de 1979 alors qu’il était soutenu par les États-Unis.

Deux étudiants de Téhéran ont répondu par une vidéo dans laquelle ils brandissaient des photos du président iranien Ebrahim Raisi, de l’ayatollah Ali Khamenei et du Shah déchu. Ils ont ensuite déchiré les trois photos.