À mi-parcours du mandat du président Joseph Biden, ses agents de la patrouille frontalière ont déjà arrêté un nombre record de 2,2 millions d’immigrants à la frontière avec le Mexique en 2022. Près de la moitié ont été déportés en vertu du Titre 42, une loi de 1944 invoquée en mars 2020 par Robert Redfield, alors directeur des Centres de contrôle et de prévention des maladies, avec l’approbation du président Donald Trump.
L’objectif n’est pas d’expulser tous les immigrants, mais de contrôler le flux de l’immigration pour répondre aux demandes des patrons en main-d’œuvre bon marché et renforcer le statut de paria des travailleurs sans-papiers aux États-Unis.
Les politiques d’immigration des dirigeants capitalistes, axées sur le profit, constituent une menace mortelle pour la classe ouvrière. Pour renforcer nos syndicats il est essentiel de tracer une voie pour surmonter les divisions que les patrons entretiennent entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nés dans le pays.
L’invocation du Titre 42, au nom de la prévention de la propagation de la COVID-19, a suspendu les lois permettant aux demandeurs d’asile de rester dans le pays pendant qu’on examine leurs demandes. Elle a donné aux agents de la patrouille frontalière l’autorité de les capturer et de les renvoyer immédiatement au Mexique. Cela a accéléré les expulsions et a fait exploser le nombre de personnes tentant de traverser la frontière à plusieurs reprises. Joseph Biden a poursuivi cette politique lorsqu’il est entré en fonction.
Jusqu’à 8 000 personnes qui traversaient la frontière ont été arrêtées chaque jour le mois dernier. Des dizaines de milliers d’autres, dont beaucoup sont originaires du Nicaragua et d’Haïti, vivent toujours dans des conditions sordides au Mexique en attendant de pouvoir traverser. Ils avaient espéré que le Titre 42 serait révoqué, ce qui aurait facilité leur entrée aux États-Unis et leurs chances d’y rester.
En fait, l’administration Biden a décidé en avril de mettre un terme à l’utilisation du Titre 42 et de le remplacer par d’autres mesures visant à limiter l’immigration, notamment en agrandissant les installations à la frontière pour y accueillir 18 000 immigrants. Mais cette initiative a été contestée devant les tribunaux et le Titre 42 reste en place.
Aujourd’hui dans les pays d’où viennent ces travailleurs, il n’y a pas de montée d’un mouvement ouvrier combatif qui pourrait unir et organiser les travailleurs et les agriculteurs pour résister au chômage, aux prix élevés et à la répression gouvernementale, pas plus qu’il n’y a de luttes révolutionnaires. Par conséquent, un nombre croissant d’entre eux se tournent vers les États-Unis dans l’espoir de trouver du travail ici et d’améliorer leur vie et celle de leur famille.
Le nombre d’immigrants vénézuéliens et haïtiens traversant la frontière sud a diminué après que Washington a adopté certains programmes permettant à un plus grand nombre de personnes originaires de ces pays de demander une entrée légale. Mais cela n’a rien changé à l’afflux général d’immigrants, notamment du Mexique, vers la frontière américaine ni à l’utilisation par les dirigeants du Titre 42 pour les expulser.
En novembre, le juge fédéral Emmet Sullivan a décidé que le Titre 42 devait être annulé parce que « arbitraire et capricieux », mais l’administration Biden a fait appel. Le 27 décembre, la Cour suprême des États-Unis a temporairement suspendu la décision de Sullivan.
Coup dur pour les libertés constitutionnelles
Les démocrates ont passé des années à dénoncer Trump pour ses politiques d’immigration, en affirmant qu’elles conduisaient à l’enfermement d’enfants dans des cages. Biden se pose comme plus humain et opposé au Titre 42. Mais, affirme-t-il, en raison de la décision de la Cour suprême, « nous devons l’appliquer », même si la Cour suprême ne lui en donne pas l’ordre. Les juges examineront le Titre 42 dans quelques mois. Et s’ils y mettent fin, l’administration Biden affirme qu’elle fera davantage appel à « l’expulsion accélérée », qui permet aux policiers d’expulser des immigrants sans qu’ils aient accès à un avocat ou à une audience judiciaire.
La décision de la Cour suprême, comme la décision de Sullivan annulant le Titre 42, est un exemple de juges non élus qui agissent comme s’ils étaient des législateurs. La pression sur les tribunaux pour qu’ils agissent de la sorte s’intensifiera, en particulier de la part des démocrates, car ni le Parti démocrate ni le Parti républicain, les deux principaux partis des dirigeants capitalistes, ne sont en mesure de remporter suffisamment de voix pour faire adopter leurs politiques dans un Congrès divisé.
Mais chaque fois qu’un tribunal usurpe l’autorité du Congrès, il porte un coup à la division des pouvoirs, inscrite dans la Constitution, entre les trois branches du gouvernement : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Cela crée un précédent que les dirigeants peuvent utiliser, et qu’ils utiliseront, pour affaiblir l’étendue politique de ce que peuvent faire les travailleurs.
Le juge Neil Gorsuch, nommé par Trump, a voté avec les trois juges libéraux contre la décision. Dans une opinion dissidente, il note que les 19 gouvernements des États qui ont intenté une action en justice pour pouvoir continuer à utiliser le Titre 42 font tous valoir que « les législateurs n’ont pas réussi à s’entendre sur des mesures adéquates pour faire face » à la crise à la frontière.
Mais « les tribunaux ne devraient pas commencer à perpétuer des décrets administratifs conçus pour une urgence [la pandémie], parce que les élus n’ont pas réussi à faire face à une autre urgence, dit-il. Nous sommes une cour de justice, pas des législateurs de dernier recours. »
Comment unifier les travailleurs ?
L’aggravation de la crise du capitalisme dans le monde et l’absence de toute direction révolutionnaire présentant une voie à suivre pour les travailleurs du monde semi-colonial signifient que de nombreux travailleurs chercheront des moyens d’entrer aux États-Unis pour échapper à la misère économique et à la répression étatique. En fait, ces confrères et consœurs font face aux mêmes défis que les travailleurs américains : la nécessité de s’organiser indépendamment des patrons et de lutter pour défendre nos intérêts de classe.
Les libéraux et les radicaux de la classe moyenne offrent un certain nombre de panacées pour résoudre cette crise, y compris en faisant appel à l’ouverture des frontières américaines, à l’abolition de l’Agence pour l’application des lois sur l’immigration et les douanes (ICE) ou à d’autres réformes du système d’immigration des dirigeants américains. Aucune ne représente une solution.
Sous le capitalisme, les travailleurs rivalisent pour les emplois. L’ouverture des frontières intensifierait considérablement cette concurrence en alimentant le chômage et en répandant la misère parmi les travailleurs, qu’ils soient immigrés ou nés dans le pays.
« Pour lutter pour la solidarité de la classe ouvrière, il faut exiger une amnistie pour tous les travailleurs sans-papiers aux États-Unis aujourd’hui », a dit au Militant Ilona Gersh, candidate du Parti socialiste des travailleurs à la mairie de Chicago. « Les luttes syndicales pour de meilleurs salaires et conditions ont tendance à rassembler les travailleurs face aux tentatives des patrons de nous diviser ». La bataille pour gagner le mouvement ouvrier à la défense des droits des immigrés est inséparable de la lutte pour construire, développer et renforcer nos syndicats. »