MONTRÉAL — Le 24 février, une descente par des dizaines de policiers provinciaux armés de l’Ontario contre un camp de la Première nation Mohawk de Tyendinaga a entraîné une nouvelle série de manifestations et de barrages ferroviaires et routiers à travers le pays. Les Mohawks bloquaient depuis 18 jours la voie du chemin de fer Canadien National près de Belleville, entre Montréal et Toronto.
« La Ligue communiste appelle les syndicats et tous les partisans des droits démocratiques à condamner les descentes de la police et les arrestations. Elle exige que la police se retire du territoire des peuples autochtones, » a soutenu Pierre-Luc Filion, qui avec ce travailleur-correspondant du Militant était l’un des deux candidats de la Ligue communiste aux élections fédérales de 2019. « La Gendarmerie royale du Canada, d’autres corps de police et l’armée canadienne ont joué un rôle de premier plan pour maintenir l’oppression des peuples autochtones et nier leur souveraineté sur leurs terres, leurs ressources et leur capacité de contrôler leurs propres vies. »
Les Mohawks avaient érigé ce barrage le 6 février en solidarité avec un petit groupe d’Autochtones Wet’suwet’en arrêtés par la GRC dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique un peu plus tôt dans la journée. Ces derniers avaient installé un camp qui bloquait une voie d’accès, dans le cadre d’un effort pour arrêter la construction du gazoduc Coastal GasLink qui traverse la Colombie-Britannique jusqu’à Kitimat sur la côte du Pacifique, où une raffinerie de 18 milliards de dollars est en cours de construction pour traiter le gaz naturel qui doit être transporté vers l’Asie.
Les patrons des chemins de fer de marchandises et de passagers du Canadien National et de Via Rail ont réagi au barrage en fermant la plupart de leurs réseaux dans l’Est. Cela a entraîné la mise à pied de centaines de travailleurs et l’accumulation de marchandises dans les gares ferroviaires et dans les ports. Tout cela a créé une grave crise pour le gouvernement libéral du premier ministre Justin Trudeau. Les patrons des compagnies ferroviaires ont également obtenu des injonctions pour pousser le gouvernement à fermer les barrages.
Les manifestations en cours ont révélé de profondes divisions parmi les peuples autochtones au sujet du développement de ressources comme le pétrole et le gaz sur leurs territoires. De nombreux dirigeants tribaux élus ont signé des accords avec des sociétés de pipeline et d’autres patrons en échange d’une embauche préférentielle. Ces actions ont également provoqué une discussion parmi les Premières nations et parmi d’autres travailleurs sur la voie en avant dans la lutte de plusieurs décennies contre l’oppression des 1,7 million d’Autochtones au Canada.
Les Wet’suwet’en sont divisés
Les Wet?suwet?en sont un peuple des Premières nations dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Comme de nombreuses Premières nations, les Wet?suwet?en ont deux autorités parallèles : celle des chefs héréditaires et celle des conseils de bande élus. Ces deux instances sont fortement divisées autour de la construction du pipeline.
Huit des neuf chefs héréditaires présentement en poste s’opposent au gazoduc. Quatre postes de chefs sont vacants. Des femmes, qui appuient le gazoduc, occupaient trois de ces postes, mais les autres chefs leur ont retiré leurs titres héréditaires.
Les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en et leurs partisans soutiennent qu’ils ont toute juridiction et autorité sur les 22 000 km2 de territoire traditionnel au centre du tracé du gazoduc. Ils s’opposent à sa construction, parce qu’ils s’opposent au développement et à l’utilisation des combustibles fossiles.
Ces chefs ont l’appui d’environnementalistes radicaux, tel Extinction Rebellion, d’anarchistes et d’autres radicaux de la classe moyenne, qui ont constitué la majorité des protestataires à travers le pays.
Le pipeline et l’augmentation des exportations de gaz sont vitaux pour la classe capitaliste du Canada. L’investissement total est évalué à 40 milliards de dollars canadiens. Ce serait, selon Ottawa, le plus gros investissement privé de l’histoire du Canada.
La classe ouvrière a aussi un intérêt dans le développement du pipeline pour des raisons de classe différentes.
Les 20 conseils de bande élus qui sont sur la voie du pipeline appuient sa construction. Ils ont tous signé des accords avec Coastal GasLink pour garantir que des Autochtones seront embauchés pour le construire.
La chef Judy Gerow de la bande des Kitselas a dit que la majorité de ses 700 membres appuient l’accord.
« Vous ne pouvez ignorer le fait qu’il y a cette industrie dans notre arrière-cour et que ce serait une erreur de ne pas en profiter, a-t-elle affirmé. Nous avons vu les industries de la forêt et de la pêche décliner autour de nous. Et traditionnellement nous étions nombreux à travailler dans ces industries. Ça a été très dur pour les communautés et les familles quand ces emplois ont disparu. »
Dans une réunion à Houston, en Colombie-Britannique, une des villes plus grosses de la région, environ 200 personnes sont venues discuter du projet de gazoduc. Selon Radio-Canada, les membres de la nation Wet’suwet’en qui ont assisté à cette réunion « veulent que le pipeline de gaz naturel soit construit. Ils disent que le projet créera des emplois bien rémunérés qui ouvriront des opportunités économiques pour leurs communautés. »
Les candidats de la Ligue communiste ont affirmé, dans une déclaration électorale en 2019, que d’imposer l’arrêt du développement et de l’utilisation de toutes les énergies fossiles aujourd’hui est contre l’intérêt des opprimés et exploités du monde. « Ceci revient à condamner les 1,5 milliard de gens qui vivent sans électricité dans les pays sous-développés à continuer de s’en passer. L’accès à l’électricité est essentiel pour développer une industrie, une agriculture, des services d’assainissement et des soins de santé modernes. »
« C’est aussi une condition préalable au progrès de la culture et de l’éducation […] et au développement d’un mouvement ouvrier international capable de mener la lutte contre l’oppression impérialiste [et] l’exploitation capitaliste, » ont expliqué les candidats de la Ligue communiste.
La Ligue communiste demande également que les travailleurs contrôlent la production, y compris les émissions de CO2, pour protéger ceux qui travaillent et ceux qui vivent près du pipeline. Ils mettent également de l’avant le développement intense de générateurs électriques à énergie nucléaire. La lutte pour gagner cela mettrait les travailleurs en meilleure position pour utiliser tous les progrès de la science afin de lutter contre la pollution, ce qui est impossible sous le régime capitaliste.
Emplois : question clé pour les Autochtones
Un Autochtone sur quatre au Canada vit sous le seuil de pauvreté officiel, soit presque le double du taux pour le reste de la population. Les revenus moyens des membres des Premières nations sont presque 40 pour cent inférieurs à ceux des autres travailleurs.
Dans une entrevue avec Le Militant, Pierre-Luc Filion a dit que « l’embauche préférentielle pour les peuples autochtones est une revendication centrale que le mouvement syndical doit mettre de l’avant pour combattre la discrimination raciste à laquelle ils sont confrontés. Cela permettrait à un plus grand nombre d’Autochtones de faire partie de la classe ouvrière et de nos syndicats. Ça renforcerait considérablement l’unité des travailleurs, nos syndicats et notre capacité de lutter. »
« Il faut lier la lutte pour l’embauche préférentielle à la demande d’un programme de travaux publics massif financé par le gouvernement fédéral, avec des salaires à l’échelle syndicale pour construire les maisons, les cliniques médicales et les systèmes modernes d’eau et d’assainissement dont les peuples autochtones, en particulier ceux qui vivent dans les réserves, ont désespérément besoin, » a ajouté l’ancien candidat de la Ligue communiste.
Les barrages et les autres manifestations organisées en soutien aux chefs héréditaires n’ont pas abordé le besoin impérieux d’emplois.
Pamela Gabriel-Ferland, une membre de la Première nation Mohawk et travailleuse sociale, a dit à ce travailleur-correspondant lors d’une discussion à son domicile de Kanesatake que « quatre ans plus tard, il est clair que [l’appel de Trudeau à] la « réconciliation » avec les peuples autochtones n’est qu’un mot à la mode. Ça ne veut rien dire. »
Démanteler les barrages par la force, « est-ce ce que le gouvernement Trudeau entend par réconciliation ? » a-t-elle demandé.
« Aujourd’hui, aucun parti ne défend vraiment les intérêts des travailleurs, » a-t-elle ajouté.
J’ai expliqué que la Ligue communiste met de l’avant la nécessité pour les travailleurs de construire un parti des travailleurs qui défendrait les besoins de tous les opprimés et exploités, y compris de ceux qui sont des Autochtones, et qui se battrait pour établir un gouvernement de travailleurs et d’agriculteurs.
« Ce serait formidable d’avoir notre propre parti, » a-t-elle répondu.