Une voie ouvrière pour renforcer les droits de tous les opprimés

Le jugement de la Cour suprême, qui brouille sexe biologique et « identité de genre », menace des gains obtenus dans la lutte

Éditorial
le 13 juillet 2020
Marche de 1963 sur Washington pour des emplois et la liberté, dans le cadre du puissant mouvement de la classe ouvrière dirigé par des Noirs, qui a renversé le système de ségrégation de Jim Crow. Ce mouvement a aussi permis d’obtenir, l’année suivante, la Loi sur les droits civils, interdisant la discrimination à l’emploi, les congédiements et les promotions sur la base de la « race, de la couleur, de la religion, du sexe ou de l’origine nationale. »
LIBRARY OF CONGRESSMarche de 1963 sur Washington pour des emplois et la liberté, dans le cadre du puissant mouvement de la classe ouvrière dirigé par des Noirs, qui a renversé le système de ségrégation de Jim Crow. Ce mouvement a aussi permis d’obtenir, l’année suivante, la Loi sur les droits civils, interdisant la discrimination à l’emploi, les congédiements et les promotions sur la base de la « race, de la couleur, de la religion, du sexe ou de l’origine nationale. »

Un article du Militant de la semaine dernière était erroné. Il s’intitulait « Cour suprême : la discrimination au travail contre les gais et les transgenres est illégale. La décision comprend une « pastille empoisonnée » contre la lutte pour les droits des femmes. » L’article suggérait à tort que ceux, membres de la classe ouvrière ou non, qui luttent pour éliminer les préjugés, l’intolérance et la discrimination dans l’emploi et dans d’autres domaines, devraient saluer la décision du 15 juin, même si elle est imparfaite.

Il ne fait aucun doute qu’il est important pour la classe ouvrière et nos alliés de s’opposer à chacun des trois congédiements en cause dans le procès. Les patrons eux-mêmes ont vite reconnu qu’ils avaient licencié les travailleurs en apprenant qu’ils étaient gais ou transsexuels, sans même prétendre que leur travail était en cause. Si les employeurs réussissent à congédier ou sanctionner un travailleur arbitrairement, alors toute capacité des travailleurs et des syndicats de s’unifier dans la lutte en se défendant les uns les autres s’affaiblit et ce de manière irréparable si on ne le combat pas et ne le repousse pas.

Construire une telle solidarité de classe est aujourd’hui la tâche centrale de tous les travailleurs qui ont une conscience de classe. Cela commence par des luttes au travail autour des salaires et des conditions de travail, y compris la santé et la sécurité de tous. C’est ainsi que nous commençons à reconstruire un mouvement ouvrier combatif, un mouvement syndical combatif.

Défendre les droits de tous les travailleurs

La récente décision de la Cour suprême, cependant, ne contribue en rien à renforcer la conscience ou la solidarité de classe.

Brochure avec laquelle les travailleurs socialistes ont fait campagne pour répondre à la poursuite entamée par le technicien de laboratoire Brian Weber. Celui-ci prétendait que le nouveau programme d’apprentissage dont les Métallos faisaient la promotion constituait une forme de « ségrégation inversée. » Les travailleurs de l’usine, les Noirs, les Caucasiens, les hommes et les femmes, ont remporté une importante victoire lorsque la Cour suprême a rejeté la requête de Weber en 1979.
Brochure avec laquelle les travailleurs socialistes ont fait campagne pour répondre à la poursuite entamée par le technicien de laboratoire Brian Weber. Celui-ci prétendait que le nouveau programme d’apprentissage dont les Métallos faisaient la promotion constituait une forme de « ségrégation inversée. » Les travailleurs de l’usine, les Noirs, les Caucasiens, les hommes et les femmes, ont remporté une importante victoire lorsque la Cour suprême a rejeté la requête de Weber en 1979.

Au contraire, en brouillant consciemment la différence fondamentale entre le sexe biologique d’un individu et les questions « d’identité de genre » ou « d’orientation sexuelle, » la décision a créé les conditions pour que s’érodent davantage des gains durement conquis par la classe ouvrière et nos alliés, y compris ceux gagnés au cours de siècles de lutte pour l’égalité des femmes.

Pire encore, la Cour suprême s’est appuyée malhonnêtement sur l’autorité de la loi de 1964 sur les Droits civils, dont elle a travesti l’article VII interdisant la discrimination en matière d’emploi sur la base de « la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale. »

Tous ceux qui ont vécu cette période de l’histoire américaine, marquée par les batailles prolétariennes pour les droits civils des années 50 et 60, et encore plus ceux qui y ont participé comprennent parfaitement l’importance des gains réalisés par la classe ouvrière dans son ensemble en renversant le système de ségrégation de Jim Crow et en éliminant des obstacles à l’emploi pour les travailleurs noirs, femmes ou nés à l’étranger.

Des droits qui reflètent un véritable progrès pour les travailleurs, élargissent et renforcent les droits de tous les opprimés ainsi que leur espace politique pour lutter. Cela a été vrai de chaque avancée réalisée en luttant sous le capitalisme contre toute négation des droits fondés sur « la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale. »

Dans les années 70, par exemple, les femmes qui luttaient pour accéder à des emplois industriels, dont elles étaient traditionnellement exclues, exigeaient et obtenaient souvent des clauses dans les contrats garantissant que la difficulté ou le danger de certaines tâches ne pourrait servir de prétexte pour leur refuser un emploi. Au contraire, répétaient-elles constamment, les règles de travail devraient être ajustées pour protéger tous les travailleurs contre de telles conditions de travail dangereuses. De nombreux syndicats et compagnons de travail masculins ont appuyé ces luttes, qui ont mené à des victoires pour l’ensemble de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier.

La lutte pour un contrat syndical, remportée en 1974 par les Métallos de l’usine Kaiser Aluminium de Gramercy en Louisiane, en a fourni un autre exemple. Quelque 40 pour cent des travailleurs de cette usine étaient noirs, mais avant la nouvelle entente, ceux-ci occupaient moins de deux pour cent des « emplois qualifiés, » les mieux rémunérés, et les femmes, aucun. La plupart des travailleurs de l’usine de Gramercy, Caucasiens et Noirs, hommes et femmes, étaient convaincus à l’époque qu’un programme de formation professionnelle qui réserverait la moitié des places aux Noirs et aux femmes bénéficierait à tous les travailleurs de l’usine en renforçant l’unité et la capacité de lutte des travailleurs et de leur syndicat.

Lorsque le technicien de laboratoire Brian Weber, qui était caucasien, a intenté une action contre le syndicat, alléguant une « discrimination inversée, » la lutte pour défendre le nouveau programme de formation a reçu des appuis non seulement des Métallos mais plus largement dans le mouvement syndical et au-delà. En juin 1979, les travailleurs ont remporté une victoire lorsque la Cour suprême des États-Unis a rejeté la contestation de Weber.

C’est le genre d’action de la classe ouvrière qui est nécessaire pour vaincre les pratiques arbitraires et discriminatoires aux niveaux de l’embauche, des licenciements ou des promotions de toute nature par des employeurs privés ou gouvernementaux. Le changement d’attitude face à d’innombrables formes de discrimination et d’intolérance n’est pas le produit d’une législation ou de décisions judiciaires, mais de l’unité forgée dans la lutte par les travailleurs, les opprimés et nos organisations de classe.

C’est ce que nous pouvons célébrer. De telles actions, et d’autres semblables à venir, montrent la voie à suivre.

Classe ouvrière : défenseur de la science

La décision alambiquée du tribunal, sur ce qui constitue une discrimination fondée sur « la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale, » est un coup pour les travailleurs et les opprimés. Elle valide l’opinion totalement antiscientifique de beaucoup de ceux qui se considèrent éclairés ou progressistes, selon laquelle les êtres humains (contrairement à presque toutes les autres espèces animales) ne naissent pas en tant que femmes ou hommes.

Selon les partisans de cette vision antimatérialiste, les bébés ne viennent pas au monde avec un sexe préétabli, peu importe qu’ils aient deux chromosomes x ou un chromosome x et un y. C’est plutôt sur la base de leur apparence physique qu’on leur « assigne » un sexe au moment de la naissance.

Ceux qui partagent cette opinion non scientifique exigent qu’on ne détermine pas à la naissance le « genre », un terme qui n’avait qu’un sens grammatical jusqu’à il y a quelques décennies à peine, mais qu’on laisse l’individu le « choisir » lui-même, parmi des dizaines d’options possibles, plus tard dans la vie. Une personne pourrait ainsi être une femme ou un homme, ou pratiquement n’importe quelle variante entre les deux, simplement en se déclarant ainsi.

« La seule différence entre une femme trans et une femme cisgenre, » c’est-à-dire une femme, « est le sexe qu’on lui attribue à la naissance, » affirme Devin Michelle Bunten, professeure adjointe d’économie urbaine au MIT, dans une chronique du 23 juin du New York Times. (Notons qu’une professeure « d’économie rurale » serait peut-être plus familière avec la reproduction sexuelle chez les mammifères que cette « professeure » avec son doctorat !)

Ce que certains considèrent comme une avancée révolutionnaire dans la compréhension de la notion de « genre » est en fait une contre-révolution. On efface tout simplement l’oppression que subissent les femmes depuis des millénaires de société divisée en classes. Les gains sur la voie de l’émancipation des femmes, que des siècles de luttes de travailleurs, souvent dirigées par des femmes, ont permis d’obtenir depuis la consolidation du capitalisme industriel au début du dix-neuvième siècle, disparaissent comme par enchantement par un coup de baguette magique qui transforme un homme en femme, ou vice versa.

Censure et climat de peur

Des millions de travailleurs et des millions d’autres personnes aux États-Unis et ailleurs, s’opposent à la discrimination en matière d’emploi ou de logement, aux indignités, à l’intimidation et à la violence contre toute personne qui a choisi de vivre avec un sexe différent de celui de sa biologie. C’est un principe fondamental de solidarité humaine que la classe ouvrière et le mouvement ouvrier promeuvent et défendent de manière intransigeante.

Mais de nombreux partisans des opinions antimatérialistes et anti-ouvrières décrites ci-dessus ne cherchent pas vraiment à lutter contre la discrimination et l’intolérance. Ils exigent qu’on appuie leurs opinions. Ils cherchent à nier la liberté d’expression ainsi que le droit à l’emploi à toute personne en désaccord avec eux, allant jusqu’à recourir à l’intimidation brutale et aux menaces physiques.

Une récente cible de tels abus est J. K. Rowling, auteure des livres Harry Potter. Son « crime » a été de défendre publiquement Maya Forstater, une femme au Royaume-Uni licenciée pour avoir déclaré que le sexe d’une personne est déterminé par la biologie. Un tribunal a rejeté l’appel de Maya Forstater contre son licenciement. J. K. Rowling a écrit dans un article du 10 juin être préoccupée par le « climat de peur » suscité par ceux qui « se donnent le droit de contrôler ce que je dis » et qui «me lancent des insultes misogynes. »

Contrairement aux affirmations de nombreux libéraux et radicaux, il n’y a pas aujourd’hui de montée des préjugés racistes, anti-immigrés, anti-femmes, antigais ou antitranssexuels parmi les travailleurs. L’inverse est vrai. Jamais l’intolérance à grande échelle n’a été repoussée plus loin qu’aujourd’hui.

Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir et cette décision du tribunal, qui tente d’éviter la lutte politique à mener pour gagner un soutien plus large sur ces questions sociales, nuit à ce processus.

Les changements d’attitudes découlent de décennies de luttes des travailleurs et de nos alliés. De puissantes batailles ouvrières dans les années 30 ont construit les syndicats industriels et ont commencé à organiser dans un même syndicat tous les travailleurs d’une usine ou d’une industrie. La lutte des Noirs des années 50 et 60 a stimulé la lutte pour l’émancipation des femmes. Les batailles des Noirs et des femmes et de leurs partisans ont inspiré le mouvement pour les droits des gais et des lesbiennes. Les homosexuels faisaient face non seulement à des lois réactionnaires les obligeant à vivre dans l’ombre et leur « interdisant » toute activité sexuelle, mais aussi à la persécution dans les emplois, le logement et le mariage ainsi qu’aux menaces à leur sécurité physique.

Des luttes pour les salaires et les conditions de travail des travailleurs, à l’action politique indépendante de la classe ouvrière et à l’organisation autour de questions sociales et politiques dans notre intérêt de classe, voilà la seule voie pour les travailleurs et les opprimés. C’est en avançant le long de cette ligne de marche de la classe ouvrière vers le pouvoir politique que les travailleurs et nos alliés pourront obtenir des concessions et ouvrir la voie à la fin de toutes formes d’exploitation, de dégradation et d’intolérance, qu’elles soient inhérentes au capitalisme ou héritées de millénaires de société divisée en classes.