Les manifestations se poursuivent en Biélorussie malgré les attaques et les arrestations du gouvernement

Roy Landersen
le 19 octobre 2020
Minsk, 4 octobre. Manifestation de masse contre le gouvernement Loukachenko et pour la libération des prisonniers politiques.
TUT.BYMinsk, 4 octobre. Manifestation de masse contre le gouvernement Loukachenko et pour la libération des prisonniers politiques.

Plus de 100 000 manifestants ont défilé dans les rues de Minsk, la capitale de la Biélorussie, pour exiger la démission d’Alexandre Loukachenko, le président autocratique qui dirige le pays depuis 26 ans. Les manifestations ont secoué le pays depuis qu’il a affirmé avoir remporté un autre mandat lors d’élections, truquées de manière flagrante, le 9 août. Beaucoup d’autres personnes appuyaient les manifestants le long des rues, en brandissant des drapeaux d’opposition. Les manifestants revendiquaient en particulier la libération des prisonniers politiques alors que les manifestants défiaient des rangées de policiers anti-émeutes et des canons à eau montés sur des véhicules blindés.

« Laissez-les sortir, » scandaient des centaines de personnes qui ont réussi à atteindre le centre de détention d’Okrestina, où l’on croit que de nombreux manifestants et des personnalités de l’opposition sont emprisonnés. Certains détenaient des photos de prisonniers à l’intérieur des murs.

Plus de 13 000 personnes ont été arrêtées, dont beaucoup ont été relâchées par la suite, alors que les manifestations se multipliaient. Dans la tentative brutale du régime d’écraser l’opposition de masse, plusieurs personnes ont été sauvagement battues et au moins cinq d’entre elles ont été tuées. Une vague de grèves généralisée des travailleurs des plus grandes usines et mines du pays, quoique de courte durée, a aidé à repousser les fiers-à-bras du régime.

Les autorités « nous menacent avec leurs véhicules militaires et leur brutalité, » mais si la foule est assez nombreuse « les hommes masqués ne nous toucheront pas, » a dit Julia Cimafiejeva, une poète, au Financial Times  le 1er octobre. « Nous voyons que ce sont eux qui ont le plus peur. » Cent-soixante personnes ont été arrêtées en marge de la dernière manifestation de masse.

Julia Cimafiejeva a noté que les gens chantent des chansons folkloriques et de vieux airs patriotiques pour exprimer leur protestation collective quand d’autres moyens sont interdits. « Une chanson est une arme dangereuse contre ceux qui détestent la culture et les arts, a-t-elle dit. Il n’y a pas de culture ou d’art sans liberté de pensée et d’expression. »

Dans un article du 3 octobre sur le site web Open Democracy, Konstantin Ostrogorsky a donné un compte-rendu des actions antérieures des travailleurs de l’usine sidérurgique de Biélorussie à Zhlobin, qui « ont effrayé les dirigeants du gouvernement local et la direction de l’usine. » Après une réunion le 17 août, les travailleurs sont entrés dans la grande usine et ont fait fermer les trois fours, arrêtant la production.

Leurs revendications étaient strictement politiques : pour « la démission de Loukachenko, la libération de tous les détenus, la fin de la violence contre des citoyens pacifiques et le retrait de la ville de toutes les escouades anti-émeutes et de toute la police non locale. »

Là, comme dans de nombreuses autres grandes entreprises d’État, les travailleurs qui protestaient ont été forcés de retourner au travail pour l’instant. Mais malgré l’intimidation des patrons, le soutien des travailleurs aux manifestations ne s’est pas estompé.

Les travailleurs et les agriculteurs en Biélorussie font aussi face à une crise économique croissante. Avec une compétition plus grande des produits d’acier chinois et indiens, meilleurs marchés, les salaires ont baissé. Cela permet une croissance des syndicats indépendants, qui ont cherché à organiser les travailleurs afin de résister aux attaques contre les salaires et les conditions.

Alexandre Loukachenko, un ancien patron de fermes collectives, a été élu président en 1994, trois ans après l’implosion de l’Union soviétique. Il a dirigé un cours différent de la « thérapie de choc, » la privatisation rapide des industries d’État qui a eu lieu ailleurs en Europe de l’Est et en Russie.

À la place, son gouvernement a graduellement introduit des méthodes capitalistes dans les compagnies d’État, y compris en attaquant les droits et les conditions des travailleurs. Les profits et les ressources étatiques ont graduellement été détournés dans les mains du privé. « Toutes les institutions du pouvoir travaillent pour une famille criminelle, » a dit au Militant Vitaly Dyadyuk, un membre du comité de grève de Belaruskali, la très grande compagnie minière de potasse étatique. « La bande criminelle d’Alexandre Loukachenko possède et contrôle » un réseau entier de compagnies.

Contrats de travail

Une des plus grosses attaques du régime a eu lieu en 1999, quand Alexandre Loukachenko a introduit les contrats à court terme, d’un à cinq ans, pour les travailleurs des entreprises d’État, remplaçant ainsi des emplois permanents.

« Pour la moindre offense, » a dit Vitaly Dyadyuk, les employeurs « ne renouvelleront simplement pas votre contrat. » De surcroît, ils ont augmenté « la partie bonus du salaire à 50 pour cent, » ce qui intensifie l’exploitation et « passe la corde au cou aux travailleurs. »

Les dirigeants clés de l’opposition bourgeoise prônent l’utilisation encore plus grande des mesures capitalistes. Le candidat à la présidence, Viktar Babaryka, ancien directeur de Belgazprombank, une des plus grandes banques du pays, a promis de privatiser massivement la propriété étatique.

Dans un effort pour gagner l’élection, Alexandre Loukachenko a fait emprisonner Viktar Babaryka et d’autres candidats d’opposition sur la base d’accusations fabriqués de toutes pièces.

Le Fond monétaire international a exigé, comme condition pour obtenir de nouvelles lignes de crédit que les grandes entreprises d’État en Biélorussie soient privatisées. Les prêts de Moscou dépendent aussi de la capacité des dirigeants capitalistes en Russie de mieux contrôler l’économie. Ils souhaitent l’intégration politique et économique croissante de la Biélorussie avec la Russie, tout en essayant de prévenir un autre soulèvement comme celui qui a eu lieu avec la révolution de Maidan en 2014 en Ukraine.

Les dirigeants russes voient les manifestations de masse et les grèves en Biélorussie aujourd’hui comme une menace sérieuse. En même temps, ils n’ont pas confiance en Alexandre Loukachenko. Jusqu’à présent, ils ont décidé de ne pas faire intervenir leurs troupes basées en Biélorussie, craignant une explosion plus grande.

La tourmente autour des élections contestées au Kirghizstan, une ancienne république soviétique d’Asie centrale, leur crée un autre problème. Avec la guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et la crise en Biélorussie, l’instabilité croît dans les « territoires rapprochés étrangers » de Moscou.