Des centaines de milliers de producteurs agricoles poursuivent leurs manifestations autour de la capitale indienne, New Delhi. Ils sont bien résolus à repousser les lois visant à ravager leurs moyens de subsistance. Les mesures adoptées par le gouvernement du premier ministre Narendra Modi mettraient fin aux prix minimaux garantis par l’État pour les cultures de base. Elles surviennent alors que les revenus des agriculteurs diminuent depuis plusieurs années, obligeant beaucoup d’entre eux à s’endetter.
Près de 400 organisations agricoles organisent quelque 300 000 agriculteurs sur les sites de protestation. Il s’agit de la plus grande mobilisation contre le gouvernement indien depuis des décennies et de la plus grande opposition à laquelle Modi a été confronté depuis son arrivée au pouvoir.
Les manifestations ont commencé au nord, dans les États du Punjab, où beaucoup sont des sikhs, et dans l’État voisin de Haryana, avant de s’étendre ailleurs.
Les syndicats d’agriculteurs prévoient une manifestation massive de tracteurs dans la capitale le 26 janvier, jour de la République de l’Inde, et mènent une campagne de recrutement dans les villages du Punjab pour recruter des milliers de personnes.
Le gouvernement Modi se plaint que les projets des agriculteurs gâcheront les célébrations traditionnelles que le gouvernement organise ce jour-là. Il affirme que les agriculteurs « calomnient la nation dans le monde ».
Les actions de solidarité avec la lutte des agriculteurs continuent de se développer dans le monde. Plus de 500 personnes se sont rassemblées au temple sikh de Yuba City, en Californie, le 16 janvier.
Une journée mondiale d’action en solidarité avec les agriculteurs indiens aura lieu le 26 janvier, coïncidant avec le cortège de tracteurs à New Delhi. À New York, une marche quittera le Times Square à 10 heures pour se rendre à l’édifice des Nations unies.
« J’exhorte les travailleurs et les agriculteurs des États-Unis à se joindre à ces actions », a suggéré au Militant Joanne Kuniansky, candidate du Parti socialiste des travailleurs au poste de gouverneure du New Jersey. « Les travailleurs du monde entier ont des intérêts communs. »
Des camps maintenus par un soutien croissant
Un groupe de 25 hommes dirigés par Faaroqi Mubeen de la Fédération musulmane du Punjab se sont portés volontaires pendant des jours pour servir dans la cuisine communautaire de l’un des camps de New Delhi. « Nous avons la responsabilité de prendre soin des agriculteurs », a-t-il indiqué. Ce sont « les agriculteurs qui nous nourrissent tous ».
Irfan Jafri, un producteur de blé, de riz et de soja qui dirige une organisation agricole locale dans le Madhya Pradesh, a amené 200 agriculteurs de son village, qui ont passé deux semaines dans un camp. « Pendant ce temps, les habitants nous ont ouvert leurs maisons, des groupes sikhs nous ont donné de la nourriture et nous avons eu la chance de rencontrer des agriculteurs de toute l’Inde », a-t-il dit à la presse.
« Le gouvernement central se demande qui finance les manifestations », a dit au Times of India Sadhu Ram, qui est âgé de 70 ans et qui vient d’un village près de Kaithal, dans l’Haryana. « S’ils veulent le savoir, notre aide vient des villageois ordinaires, qui fournissent du blé, du riz et du sucre parce qu’ils savent que les lois agricoles affecteront les moyens de subsistance. »
Des remorques de nourriture et de bois de chauffage continuent d’arriver grâce à des collectes organisées dans les États voisins. Les camps disposent de cuisines, de logements, d’installations médicales et de blanchisseries.
Les villageois sont ravis de se joindre à tour de rôle aux mobilisations dans les camps. Mais « les gens doivent se relayer afin de pouvoir effectuer des travaux comme l’arrosage des récoltes et le soin du bétail à la maison », a expliqué Pawan Maan au même journal. « Les villages continueront d’envoyer plus de personnes et le gouvernement devra bien nous écouter. »
Les agriculteurs « s’attaquent sans crainte au puissant gouvernement », a maintenu à la BBC Surmeet Mavi, rédacteur en chef du Trolley Times, un bulletin quotidien publié sur le site de protestation.
Les protestations contre les nouvelles lois par des agriculteurs de l’Uttar Pradesh, du Madhya Pradesh, du Rajasthan, du Bihar, de l’Uttarakhand et du Tamil Nadu dans le sud se sont intensifiées ces dernières semaines. Un millier d’agriculteurs ont fait le voyage de trois jours au nord vers Delhi depuis le Kerala.
Les pourparlers entre les agriculteurs et le gouvernement restent dans l’impasse malgré la suspension par la Cour suprême des lois de Modi et malgré l’offre de « médiation ».
De nombreuses familles d`agriculteurs indiens ont dû s’endetter davantage, avant même que les nouvelles lois n’entrent en vigueur. Chaque jour au Punjab, la presse rapporte de trois à quatre suicides d’agriculteurs. Des milliers de veuves et d’autres membres de famille portant des portraits d’agriculteurs qui se sont suicidés se sont joints aux manifestations.
Au fur et à mesure que la terre se transmet de génération en génération, les exploitations agricoles sont partagées et deviennent de plus en plus petites. Au cours des 50 dernières années, le nombre de fermes en Inde a doublé pour atteindre environ 146 millions, mais leur taille moyenne a diminué de moitié pour atteindre environ deux acres et demi.
Dans l’État de Bihar, à l’est, les programmes de soutien des prix ont été supprimés il y a 15 ans. L’année dernière, alors que les agriculteurs du Punjab vendaient leur riz au prix prescrit par l’État, soit 25 dollars les 100 kilogrammes, les agriculteurs du Bihar devaient le vendre à 16 dollars sur le marché libre.
Avec la fin des programmes de soutien des prix mis en place par l’État il y a 15 ans, les dirigeants indiens entrevoient une augmentation des prix du marché et de leurs superprofits. Les petits agriculteurs pourront alors être chassés de leurs terres par une production capitaliste à plus grande échelle.