Les manifestants au Myanmar disent : « À bas le régime militaire ! »

Seth Galinsky
le 1 mars 2021
Des travailleurs de la zone industrielle Shwepyithar de Yangon manifestent le 17 février contre le coup d’État militaire et pour de meilleures conditions de travail. Les syndicats ouvriers sont un élément central des manifestations contre les militaires qui ont pris le pouvoir.
SYNDICAT SOLIDARITÉ DU MYANMARDes travailleurs de la zone industrielle Shwepyithar de Yangon manifestent le 17 février contre le coup d’État militaire et pour de meilleures conditions de travail. Les syndicats ouvriers sont un élément central des manifestations contre les militaires qui ont pris le pouvoir.

Malgré les arrestations, les coupures d’internet et les agressions policières et militaires contre des manifestants, les protestations contre le coup d’État militaire du 1er février au Myanmar se poursuivent. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues du pays le 17 février, en réponse à l’armée qui affirme de façon ridicule que la plupart des gens soutiennent le coup d’État.

Les travailleurs et leurs syndicats ont aidé à diriger la lutte contre le coup d’État. Des centaines de milliers d’ouvriers du vêtement, de cheminots, d’agents de bord et de contrôleurs aériens, de mineurs, de chauffeurs d’autobus, de travailleurs du pétrole, de caissiers de banque, de pêcheurs, d’agriculteurs, de médecins et d’infirmières ainsi que des employés du gouvernement sont en grève ou se sont joints aux manifestations dans les villes et les villages, grands et petits.

Des étudiants, artistes, musiciens, moines bouddhistes et membres du clergé catholique protestent également.

« Les travailleurs étaient déjà en colère, ils étaient déjà en mouvement », a affirmé à Reuters Moe Sandar Myint, 37 ans, dirigeante de la Fédération des travailleurs généraux du Myanmar, le 12 février. Elle faisait référence aux luttes syndicales pour une augmentation des salaires et de meilleures conditions qui se déroulaient avant le coup d’État. La fédération organise bon nombre des quelque 600 000 ouvriers du vêtement qui produisent en grande partie pour les marchés étrangers, y compris Gap aux États-Unis.

« Les dirigeants syndicaux ont subi des pressions intenses de la part des dirigeants des compagnies et de la police, a-t-elle ajouté. La seule réponse possible était de sortir dans la rue. » La police a fait une descente à son domicile le 6 février, mais ne l’a pas trouvée.

Moe Sandar Myint est elle-même sortie, debout sur le toit des voitures pour exhorter les travailleurs à « lutter contre la dictature militaire jusqu’à la fin ».

Les manifestants demandent la libération d’Aung San Suu Kyi et d’autres dirigeants de la Ligue nationale pour la démocratie, le parti bourgeois qui a remporté une victoire écrasante aux élections de novembre. Le général Min Aung Hlaing, le chef de l’armée, affirme que les résultats étaient frauduleux.

En vertu de la constitution de 2008 imposée par l’armée, les généraux nomment 25 pour cent des sièges au parlement, ce qui leur donne le droit de veto et le contrôle des principaux ministères.

Le haut commandement militaire a vu le résultat asymétrique du vote comme une menace, même si Aung San Suu Kyi, devenue chef d’État de facto en 2015, n’a pas contesté le pouvoir de l’armée, son contrôle lucratif de nombreuses industries et son hostilité envers les minorités ethniques du pays. En fait, elle a été l’apologiste la plus en vue du traitement barbare et de l’expulsion massive de la minorité musulmane rohingya par l’armée.

Ces divisions nationales sont l’héritage de la stratégie qui consiste à diviser pour régner mise en place par les anciens dirigeants coloniaux britanniques.

Prisonniers politiques

Aung San Suu Kyi est assignée à résidence, accusée dans un premier temps d’avoir importé illégalement des walkies-talkies. Le 16 février, lors de sa première audience portant sur ces accusations, on lui a refusé l’assistance de son avocat et elle a découvert que la junte l’accusait aussi d’avoir violé les restrictions de la COVID-19.

Avec les Birmans, la majorité au Myanmar, il y a eu une large participation aux manifestations de travailleurs issus de groupes ethniques minoritaires, qui représentent 40 pour cent de la population, dont certains ont voté pour Aung San Suu Kyi et d’autres non.

Un groupe de Rohingyas manifestant à Yangon contre le coup d’État a été bien accueilli, a indiqué au journal The Atlantic Khin Maung Lwin, qui faisait partie du contingent.

La police et les soldats ont utilisé des balles en caoutchouc et des lance-pierres pour attaquer les manifestants devant la Banque centrale à Mandalay le 15 février. Dans plusieurs villes, les policiers ont utilisé des canons à eau et des gaz lacrymogènes dans des tentatives infructueuses pour réprimer les manifestations.

Lorsque la police a encerclé le siège de la Ligue nationale pour la démocratie le 15 février à Yangon, piégeant des responsables du parti à l’intérieur, des milliers de personnes se sont rassemblées à l’extérieur et les policiers se sont retirés.

La police s’est rendue dans un complexe résidentiel à la périphérie de Yangon pour ordonner aux cheminots de retourner au travail le 14 février. Les policiers sont partis après avoir fait face à une foule en colère.

Des actions de solidarité dans le monde ont eu lieu partout dans le monde, surtout là où il y a des communautés d’expatriés. Une action est prévue le 20 février à Jackson Heights à New York.

Alors que la police et l’armée se sont jusqu’à présent généralement abstenues d’utiliser des balles réelles, rien ne garantit que cela continuera.

En 1988, des manifestations massives ont éclaté contre le régime militaire, qui a été imposé de 1962 à 2011. Les militaires ont répondu par une violence sanglante, tuant des centaines, voire des milliers de personnes. En 2007, le régime a brutalement réprimé une série de manifestations de moines bouddhistes.

Patrouilles de quartier

Les manifestants appellent les actions d’aujourd’hui le Mouvement de désobéissance civile. Ils se sont organisés pour maintenir les manifestations disciplinées et pacifiques, cherchant à donner au régime militaire le moins de prétextes possible pour lancer des attaques meurtrières.

Le régime a gracié et libéré 23 000 prisonniers non politiques la semaine dernière. Cela s’est aussi produit lors des mobilisations de 1988 lorsque les généraux ont organisé certains de ceux qu’ils avaient libérés pour attaquer les bastions de protestation et faire d’autres provocations. De nombreux manifestants pensent aujourd’hui que les hauts gradés de l’armée utilisent la même tactique.

Les travailleurs de plusieurs villes ont mis en place des groupes de surveillance communautaires, visant à empêcher les provocations qui pourraient donner aux militaires une excuse pour intensifier la répression. Selon le Myanmar Times, il y a tant de groupes de patrouilles de nuit communautaires organisés que les lampes de poche sont en rupture de stock sur les marchés de Yangon.

Le journal Irrawaddy, basé à Yangon, rapporte que ces groupes de surveillance ont mis fin à certaines activités suspectes mais, ayant appris de 1988, ils ont empêché les détenus d’être maltraités. Au lieu de cela, après les avoir interrogés, ils les remettent à la police ou les renvoient à leurs familles.

Des manifestations quotidiennes ont eu lieu devant l’ambassade de Chine, appelant Pékin à condamner le coup d’État. Jusqu’à présent, les dirigeants chinois, qui sont le principal fournisseur d’armes de l’armée birmane et le plus grand partenaire commercial du pays, ont refusé de le faire, qualifiant les développements dans ce pays « d’affaire interne ».