Des lois du Québec divisent les travailleurs francophones et anglophones

Michel Prairie
le 26 juillet 2021
Manifestation à Montréal en 2019 contre la loi 21, qui interdit aux travailleurs du secteur public de porter des symboles religieux au travail. Le nouveau projet de loi 96 déposé à l'Assemblée nationale en mai limiterait l'accès à l'anglais dans les écoles, dans l’administration gouvernementale, au moment où le bilinguisme français-anglais augmente.
THE MILITANT / JIM UPTONManifestation à Montréal en 2019 contre la loi 21, qui interdit aux travailleurs du secteur public de porter des symboles religieux au travail. Le nouveau projet de loi 96 déposé à l'Assemblée nationale en mai limiterait l'accès à l'anglais dans les écoles, dans l’administration gouvernementale, au moment où le bilinguisme français-anglais augmente.

MONTRÉAL — Sous prétexte de défendre les « valeurs québécoises », le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) a présenté le 13 mai dernier à l’Assemblée nationale du Québec un projet de loi qui s’attaque aux droits des travailleurs.

Le projet de loi 96 prétend « freiner le déclin du français au Québec ». En fait, il limite l’accès des jeunes francophones à l’enseignement préuniversitaire public en anglais. Il ordonne également que le français soit la seule langue de communication de l’administration gouvernementale. Près de 15 pour cent de la population est de langue maternelle anglaise et de nombreux immigrants ont l’anglais comme deuxième langue.

Ce projet de loi vient après l’adoption de la loi 21 en 2019. Cette loi discriminatoire interdit aux employés du gouvernement québécois, dont les enseignants, de porter des symboles religieux dans l’exercice de leurs fonctions. Elle vise en particulier les enseignantes musulmanes qui portent le voile et les travailleurs juifs qui arborent la kippa.

Augmentation du bilinguisme

Historiquement, les francophones au Canada ont été victimes de discrimination et d’oppression sur la base de leur langue. Pour les capitalistes qui dominent le pays, cela leur permettait de diviser la classe ouvrière, d’accroître l’exploitation et d’empocher des surprofits.

Ce pivot de la politique de division des dirigeants a été largement surmonté, au cours des années 1960 et 1970, à travers une série de luttes de masse, concentrées principalement au Québec. Ces luttes et l’appui qu’elles ont reçu de la part des travailleurs à travers le Canada ont beaucoup aidé à surmonter les inégalités et à unifier la classe ouvrière d’un bout à l’autre du pays.

Alors que les revenus des francophones en 1961 étaient inférieurs de 35 pour cent à ceux des anglophones, ils sont aujourd’hui semblables. Le français est devenu la langue commune de communication au Québec.

Ceux qui appuient le projet de loi 96 disent qu’il est nécessaire pour freiner « le déclin du français » au Québec, un fait que ne confirme aucune donnée gouvernementale.

En réalité, ce n’est pas que l’usage du français a décliné, mais c’est plutôt que le bilinguisme français-anglais a augmenté.

En 2016, près de 80 pour cent pour cent de la population du Québec avait le français comme langue maternelle, mais 94,4 pour cent des gens pouvaient soutenir une conversation en français.

De 1961 à 2016, la proportion de bilingues au Québec est passée de 26 à 45 pour cent. En 2016, 40 pour cent des francophones et 69 pour cent des anglophones étaient bilingues.

Dans l’ensemble du Québec en 2018, 55,4 pour cent des travailleurs utilisaient régulièrement l’anglais ou une langue autre que le français au travail.

C’est dans ce contexte de croissance du bilinguisme parmi les travailleurs que le gouvernement intervient pour contingenter l’accès aux études pré-universitaires en anglais. C’est une attaque contre les jeunes qui veulent parfaire leur apprentissage de l’anglais.

Seuls les enfants et les adolescents dont les parents ou les frères et sœurs sont allés à l’école en anglais au Canada peuvent aller à l’école en anglais au Québec.

Mais cette restriction ne s’applique pas aux études pré-universitaires, dans ce qu’on appelle au Québec les cégeps. C’est ainsi que plus de 6 pour cent des jeunes francophones vont au cégep en anglais et qu’un peu plus de 11 pour cent des anglophones le font en français.

« Il y a 10 ans, j’ai choisi de faire mon cégep en anglais », a dit Philippe Tessier au Militant. Tessier est candidat de la Ligue communiste à la mairie de l’arrondissement de St-Laurent à Montréal. « Je voulais parfaire ma connaissance de la langue. Mais ça m’a aussi permis de me faire beaucoup d’amis anglophones qui avaient des bagages familiaux différents du mien.

« C’est très bon pour les travailleurs d’apprendre le plus de langues possible. Ça nous aide à communiquer entre nous, a-t-il ajouté. Ça nous aide également à renforcer l’unité dont nous avons besoin pour mener la lutte afin d’établir un gouvernement des travailleurs et des agriculteurs et de construire un monde basé sur la solidarité, pas sur l’oppression et l’exploitation capitalistes. »

Une arme contre les travailleurs

Pour protéger les lois 21 et 96 contre d’inévitables poursuites judiciaires, le gouvernement de la CAQ se sert de l’article 33 de la constitution canadienne, qui permet aux gouvernement fédéral et provinciaux de suspendre l’application d’une série de droits inscrits dans la Charte canadienne des droits et liberté, comme la liberté d’opinion, de réunion, d’association et de culte.

Depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, plusieurs gouvernements provinciaux ont fait appel à l’article 33 pour interdire des grèves et même les mariages de couples de même sexe.

Le Conseil national des musulmans canadiens, l’Association canadienne des libertés civile, la Fédération autonome de l’enseignement, qui regroupe 50 000 enseignants au Québec, ont contesté la loi 21 devant les tribunaux. La FAE considère que la loi est discriminatoire parce qu’elle brime le droit au travail de ses membres qui portent un voile islamique.

Le 20 avril dernier, le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure du Québec a conclu que même si cette loi brime de nombreux « droits fondamentaux », la clause dérogatoire utilisée par le gouvernement rend la loi « juridiquement inattaquable dans l’état actuel du droit ».

Michel Dugré a collaboré à cet article.