MONTRÉAL — Thomas Sankara était le principal dirigeant de la révolution qui a eu lieu de 1983 à 1987 au Burkina Faso, pays d’Afrique de l’Ouest, a dit Michel Prairie, rédacteur du livre Thomas Sankara parle et dirigeant de la Ligue Communiste, lors d’une réunion de 25 personnes le 27 novembre à Montréal pour discuter du livre, de l’héritage de Sankara et de la révolution burkinabè.
« La révolution a eu lieu dans l’un des pays les plus pauvres du monde, un pays presque entièrement agricole avec une petite classe ouvrière industrielle », a ajouté Michel Prairie. La Haute-Volta, comme on appelait alors le pays, était une ancienne colonie française encore très dominée et exploitée par l’impérialisme français.
En août 1983, après des mois de mobilisation populaire, un soulèvement a porté au pouvoir un gouvernement révolutionnaire avec Thomas Sankara à sa tête.
Au cours des quatre années suivantes, a expliqué Michel Prairie, « Thomas Sankara a dirigé le gouvernement révolutionnaire en mobilisant les travailleurs pour améliorer leurs conditions ».
Organisé conjointement par les éditions Pathfinder et la librairie Racines, l’événement a eu lieu pendant le Salon du livre de Montréal. Les panélistes étaient Michel Prairie, Tidiane Diallo, un militant pour les droits des réfugiés originaire de Guinée, et Emmanuel Adigun, qui a lu une présentation de Kenneth Adetola, un réfugié politique ouest-africain qui devait prendre la parole mais était alors trop malade pour le faire.
Publié en 1988 en anglais et 2007 en français par les éditions Pathfinder, le livre reproduit 30 discours et interviews donnés par Sankara.
Après que la révolution a pris le pouvoir dans un pays confronté à la faim et à l’avancée continue du désert du Sahel, Thomas Sankara a poussé les travailleurs et les paysans à s’unir, a expliqué Michel Prairie. Ces derniers se sont mobilisés pour construire des barrages, irriguer des vallées, planter des arbres et augmenter la production et la distribution de nourriture.
Le gouvernement révolutionnaire a organisé des campagnes massives d’alphabétisation et de vaccination, a-t-il ajouté. Il a nationalisé la terre et mobilisé les paysans pour faire face à des relations d’exploitation à la campagne qui étaient plusieurs fois centenaires.
Sankara a également pris des mesures décisives pour impliquer les femmes dans la révolution et enseigner aux travailleurs la nécessité de lutter contre l’oppression des femmes. L’un des discours clés du livre a pour titre : « La révolution ne peut aboutir sans l’émancipation des femmes ».
« Thomas Sankara était un internationaliste », a dit Michel Prairie. La révolution au Burkina Faso a combattu la domination impérialiste et a étendu la solidarité à d’autres peuples luttant pour leurs droits.
« Ce qui distingue Thomas Sankara des autres révolutionnaires qui ont mené des luttes courageuses contre la domination coloniale et impérialiste en Afrique, a-t-il ajouté, c’est qu’il était un marxiste-révolutionnaire, un communiste. Il avait une confiance totale dans la capacité des travailleurs et des paysans de transformer leur vie et de devenir de nouveaux êtres humains avec de nouvelles valeurs prolétariennes en le faisant.
« Ce n’est pas un hasard si la révolution a tissé des liens avec la révolution cubaine et que Cuba y a envoyé 450 volontaires pour aider.
« Thomas Sankara a expliqué que la révolution au Burkina Faso était populaire et démocratique. La révolution ne pouvait pas exproprier les capitalistes et ouvrir la voie au socialisme : le pays était trop sous-développé économiquement et socialement. La révolution avait comme tâche de mobiliser les travailleurs et les paysans afin de résoudre leurs besoins les plus immédiats et, ce faisant, de créer les conditions pour développer l’économie du pays et une classe ouvrière moderne.
« Thomas Sankara s’est battu jusqu’à son dernier jour pour faire avancer cette voie révolutionnaire, peu importe les obstacles. »
« J’ai appris l’existence de Sankara dans ce livre »
« Je suis né deux ans après l’assassinat de Sankara, a dit Tidiane Diallo. Je l’ai vraiment connu en lisant le recueil de ses discours publié par les éditions Pathfinder après mon arrivée au Canada comme réfugié politique.
« Sankara a expliqué que la lutte pour les arbres et les forêts est une lutte anti-impérialiste parce que l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos plaines, a-t-il ajouté. Le camarade Sankara a aussi compris qu’au sein de la société burkinabè, il y avait une certaine exploitation d’une couche de la population par une autre, l’exploitation des femmes par les hommes.
« J’ai été frappé de voir comment Sankara disait qu’alors qu’il était enfant, il passait ses journées à jouer dehors avec d’autres garçons tandis que ses jeunes sœurs devaient rester à la maison pour aider leur mère à faire les tâches ménagères, a-t-il dit. La révolution burkinabè s’est attaquée à ce problème en organisant des journées où les hommes devaient se rendre au marché pour acheter de la nourriture pour la famille.
« Sankara disait que la révolution a besoin d’un peuple de convaincus, pas de vaincus, a ajouté Tidiane Diallo. Certains membres du gouvernement voulaient utiliser la force contre le peuple, mais le camarade Sankara a souligné la nécessité de la pédagogie. »
Dans sa présentation, Kenneth Adetola a expliqué qu’il était étudiant au Nigeria à l’époque de la révolution burkinabè. « Les réalisations dans le secteur de la santé sous le gouvernement dirigé par Thomas Sankara étaient impressionnantes. C’étaient des pas de géant qui ont permis de vacciner plus de 2,5 millions d’enfants en deux semaines seulement », a-t-il dit.
« Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, le taux d’alphabétisation au Burkina Faso n’était que de 12 %. À force de travail et de détermination, son gouvernement a fait passer ce taux à 22 % en un peu moins de deux ans, a écrit Kenneth Adetola. Vous remarquerez sa passion et son zèle non seulement pour éduquer l’esprit de son peuple, mais aussi pour éduquer leur cœur et sauver leur conscience de l’esclavage mental. »
Une révolution renversée
Dans la discussion, Michel Prairie a décrit le combat de Sankara dans les derniers mois de la révolution pour construire un parti révolutionnaire, un parti qui, « pour faire avancer la révolution, pourrait regrouper les combattants les meilleurs et les plus dévoués, ceux qui se joignent aux paysans pour cultiver la terre et planter des arbres, pas en donnant des ordres depuis un bureau climatisé de la capitale Ouagadougou. »
Il n’y avait pas au Burkina Faso de parti de ce type regroupant tous les révolutionnaires dans ses rangs. Beaucoup de ceux qui étaient d’accord avec le cours politique de Sankara ont été tués lors du coup d’État qui a renversé le gouvernement révolutionnaire ou ont été brisés au cours des décennies suivantes par la répression brutale sous Blaise Compaoré.
Peter Thierjung, du Parti socialiste des travailleurs aux États-Unis, a parlé dans la discussion du procès en cours au Burkina Faso de 14 personnes, dont Blaise Compaoré, accusées d’avoir participé à l’assassinat de Sankara.
« Pendant quatre ans, a dit Peter Thierjung, l’impérialisme n’a pas réussi à renverser la révolution de l’extérieur grâce à la direction de Sankara. La contre-révolution est venue de l’intérieur, dirigée par Compaoré et ses acolytes, qui prétendaient être des révolutionnaires mais ne l’étaient pas. Ils ont utilisé la brutalité, la torture et le meurtre pour prendre le pouvoir.
« Il est essentiel pour les travailleurs des pays d’Amérique du Nord et d’ailleurs de lire et d’étudier le cours politique et l’exemple de Sankara. »
Maya Berger, étudiante à l’Université de Montréal, est l’une des trois personnes qui ont participé à la réunion après en avoir pris connaissance au kiosque des éditions Pathfinder au Salon du livre de Montréal. La réunion et la discussion, a-t-elle dit, « m’ont clairement encouragée en me permettant de voir que des réponses existent pour les luttes des travailleurs et les luttes de libération aujourd’hui. »