Trente-cinq ans après un coup d’État contre-révolutionnaire en 1987, un tribunal du Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, a rendu des verdicts de culpabilité le 6 avril après un procès de six mois pour l’assassinat du président Thomas Sankara et de 12 de ses camarades et gardes.
Blaise Compaoré, de même que son bras droit, le général Gilbert Diendere, et Hyacinthe Kafando, le soldat accusé d’avoir dirigé le commando, ont été reconnus coupables et condamnés à la prison à vie. Huit autres personnes également reconnues coupables ont été condamnées à des peines allant de trois à vingt ans de prison. Deux ont vu leur peine suspendue. Trois ont été acquittés.
Blaise Compaoré, qui vit en exil en Côte d’Ivoire voisine, et Hyacinthe Kafando, qui est en fuite, ont été jugés par contumace. Gilbert Diendere, qui purge déjà une peine de prison pour une tentative de coup d’État en 2015, faisait partie des quelques inculpées présents au procès.
Thomas Sankara avait 33 ans lorsqu’il a dirigé une révolution démocratique populaire en 1983. Ce fut l’une des révolutions les plus profondes de l’histoire du continent africain. Blaise Compaoré était alors membre du Conseil national de la révolution que dirigeait Sankara.
Une révolution populaire
Avec une population parmi les plus pauvres du monde, la révolution dirigée par Thomas Sankara a ouvert la voie au développement du Burkina Faso. Des millions de travailleurs, soutenus par le gouvernement révolutionnaire, ont réalisé d’importantes mesures économiques et sociales.
Parmi ces mesures, il y a eu la nationalisation de la terre pour garantir aux paysans le fruit de leur travail en tant qu’agriculteurs productifs, des projets d’irrigation et la plantation de 10 millions d’arbres pour arrêter l’avancée du désert.
On a pris des mesures pour lutter contre l’assujettissement séculaire des femmes. On a vacciné trois millions d’enfants contre les maladies courantes, organisé des campagnes d’alphabétisation de grande envergure et construit des routes, des écoles, des logements et un chemin de fer national.
Le gouvernement révolutionnaire de Thomas Sankara a étendu la solidarité internationale à ceux qui luttent contre l’oppression dans le monde entier, notamment en soutenant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et en citant l’exemple de la révolution socialiste de Cuba.
« Pour la nouvelle société », a affirmé Sankara dans un discours prononcé le 4 août 1987 pour célébrer le quatrième anniversaire de la révolution, « il nous faut un peuple nouveau, un peuple avec son identité propre, un peuple qui sait ce qu’il veut, qui sait s’imposer.
« Notre peuple après quatre années de révolution est l’amorce de ce peuple nouveau. »
Avec le meurtre de Thomas Sankara, Blaise Compaoré a déclenché une contre-révolution sanglante, imposant son règne tyrannique. Annulant les acquis de la révolution, le gouvernement du Burkina Faso a recommencé à servir les intérêts des classes exploiteuses du pays et ceux des impérialistes français et américains.
Vingt-sept ans plus tard, en 2014, un soulèvement populaire a chassé Compaoré du pouvoir et des millions de Burkinabés ont réclamé « Justice pour Sankara ! » Le gouvernement a finalement été contraint d’engager les procédures judiciaires réclamées depuis 34 ans par la famille de Sankara et celles des autres personnes assassinées lors du coup d’État. Un avocat de la famille de Sankara, Prosper Farama, a dit en cour que le procès avait pour but de réclamer la justice et non la vengeance.
Le procès s’est ouvert le 11 octobre 2021. Il a comporté les dépositions et les témoignages de plus de 100 témoins et experts médico-légaux et 20 000 pages de preuves.
« Nous avons eu un vrai procès avec des experts en balistique et des interventions sur les faits : comment les gens ont été tués, quand, ce qui s’est passé dans les mois précédant le 15 octobre [1987] et après », a expliqué Anta Guisse, un autre avocat de la famille Sankara, dans un entretien avec JusticeInfo. « Les crimes étaient vraiment prémédités. »
« Le 15 octobre a été méticuleusement préparé et savamment orchestré, a dit Boukary Kaboreen cour. C’est Compaoré qui a « dirigé les choses avec ses amis civils. »
Kabore, un capitaine militaire et partisan de Sankara, dirigeait, à l’ouest de la capitale Ouagadougou, un bataillon qui a été écrasé lors du coup d’État. Onze de ses soldats ont été exécutés par les forces de Compaoré, qui craignaient qu’ils ne résistent.
Des preuves accablantes de trahison
Parmi les preuves présentées au procès, il y a eu :
• Des témoignages selon lesquels les putschistes qui collaboraient avec Compaoré cherchaient à éliminer des défenseurs de la révolution et comment ils les ont arrêtés, emprisonnés et torturés ;
• Une description de comment ils ont planifié et exécuté le meurtre de Sankara ainsi que des preuves médico-légales recueillies lors de l’exhumation de quelques corps, dont celui de Sankara, jetés et enterrés dans des tombes peu profondes à la périphérie de la capitale ;
• Des éléments d’information sur comment le service de renseignement extérieur français, le gouvernement de la Côte d’Ivoire et le gouvernement libyen de Mouammar Kadhafi ont épaulé le coup d’État. Ces faits sont apparus malgré les décisions du tribunal limitant la procédure aux accusations portées contre les accusés.
Gilbert Diendere et d’autres accusés ont tenté de faire passer Sankara pour le criminel, en répétant les fausses allégations selon lesquelles il aurait conspiré pour faire arrêter Compaoré.
Diendere a prétendu que Sankara avait été tué accidentellement par les gardes personnels de Compaoré, répétant ainsi les propos tenus par Compaoré après l’assassinat.
Les témoignages au procès ont révélé comment les opposants de Sankara et les complices de Compaoré au sein du gouvernement révolutionnaire ont orchestré une campagne de diffamation dans les semaines précédant l’assassinat, dénigrant Sankara et affirmant qu’il était avide de pouvoir.
« Quand j’entends des gens dire que la mort de Sankara était un accident, je dis non », a dit lors de son témoignage Blaise Sanou, un officier militaire à l’époque de la révolution. « Ils ont planifié sa mort et l’ont exécuté. »
D’autres témoins ont dit qu’ils avaient informé Thomas Sankara que Blaise Compaoré se préparait à renverser le gouvernement. Ils ont expliqué qu’ils avaient prié instamment Sankara de prendre des mesures pour retenir Compaoré, mais que Sankara avait refusé. Blaise Sanou a décrit comment Sankara ne voulait pas se laisser entraîner dans la violence politique entres factions. « Il vaut mieux faire un pas avec le peuple que 100 pas sans le peuple » a dit Sanou en paraphrasant Sankara.
« Celui qui avait soif de pouvoir, c’était Blaise », a poursuivi Blaise Sanou en cour. Il a rappelé comment Compaoré a fait tuer d’autres dirigeants de la révolution et a tenté de s’accrocher définitivement au pouvoir en réécrivant la constitution du pays en 2014.
Dans le discours de 1987 célébrant l’anniversaire de la révolution, Thomas Sankara avait déjà fait une mise en garde : « Nous avons dû subir diverses attaques plus calomnieuses les unes que les autres provenant aussi bien d’ennemis classiques que d’éléments issus des rangs mêmes de la révolution, d’impatients développant un zèle douteux de néophytes quand ce n’est pas une frénésie de calculateurs aux ambitions personnelles non cachées. »
Un exemple pour les révolutionnaires d’aujourd’hui
Le procès a permis de révéler de nombreux faits importants sur les meurtres. Mais la salle d’audience ne pouvait servir de lieu pour tirer les leçons politiques du combat que Thomas Sankara a mené pour défendre et faire avancer la révolution. Cette tâche incombe aux travailleurs, aux paysans et aux jeunes d’aujourd’hui, ainsi qu’aux futures générations de révolutionnaires en Afrique et dans le monde. Ils trouveront des leçons inestimables dans l’héritage de la révolution burkinabée, alors qu’ils cherchent à imiter l’exemple de Sankara.
Ils peuvent prendre comme point de départ les discours et les interviews de Sankara au cours des quatre années pendant lesquelles la révolution a été au pouvoir. Ils y découvriront son point de vue, sa ligne de conduite et un aperçu de ses capacités de direction, de son intégrité et de son dévouement désintéressé pour que les opprimés et les exploités du monde entier puissent s’émanciper des valeurs de loups qui se mangent entre eux véhiculées par la « jungle capitaliste ».
Les lecteurs découvriront que Sankara rejetait les tentatives de résoudre des différends au sein de la population ou parmi les révolutionnaires par la violence et la brutalité. Il disait que ces méthodes menaçaient la révolution.
Dans le discours du quatrième anniversaire qu’il a prononcé en 1987, quelques semaines d’être assassiné, Sankara a exprimé publiquement sa détermination à mener un combat politique pour maintenir la révolution sur les rails. Il insistait sur le fait que la révolution « a besoin d’un peuple de convaincus et non d’un peuple de vaincus, d’un peuple de convaincus et non d’un peuple de soumis qui subissent leur destin ».
Thomas Sankara était un marxiste. Il avait étudié les luttes révolutionnaires précédentes et il considérait que la révolution qu’il dirigeait s’inscrivait dans la continuité des combats antérieurs : les révolutions américaine et française à la fin du 18e siècle, la Commune de Paris en 1871, la révolution d’octobre de 1917 en Russie et la révolution cubaine de 1959. « Nous sommes les héritiers de ces révolutions », a-t-il expliqué.
Pour en apprendre davantage, les lecteurs peuvent se procurer un exemplaire de Thomas Sankara parle, un recueil publié par les éditions Pathfinder.