Vague de protestations dans le monde entier contre une flambée des prix qui ravage la vie des travailleurs et des agriculteurs

Terry Evans
le 2 mai 2022
Manifestation à Tirana, en Albanie, le 14 mars, contre la flambée des prix, exacerbée par l’invasion de l’Ukraine par Moscou. « Vraiment, bébé !? » dit cette affiche, en réponse au président albanais qui a reconnu que : « Nous sommes en crise. »
TIRANA POSTManifestation à Tirana, en Albanie, le 14 mars, contre la flambée des prix, exacerbée par l’invasion de l’Ukraine par Moscou. « Vraiment, bébé !? » dit cette affiche, en réponse au président albanais qui a reconnu que : « Nous sommes en crise. »

Au cours du mois dernier, des dizaines de milliers de travailleurs sont descendus dans la rue pour demander aux gouvernements d’agir afin de freiner l’impact dévastateur de la flambée des prix en Iran, en Albanie, au Pérou, au Sri Lanka, au Soudan et ailleurs. Ils n’acceptent pas de devoir se priver de la nourriture et des autres produits de première nécessité qu’ils ne peuvent plus s’offrir. Au moment où se produisent ces actions, la Banque mondiale prédit que l’invasion de l’Ukraine par Moscou aggravera à la fois la stagnation économique et stimulera encore plus l’inflation.

Se protéger du fléau de la hausse des prix est un défi grandissant. Même avec deux ou trois emplois, « nous n’arrivons pas à joindre les deux bouts », a dit à Reuters le maçon José Luis Rodríguez qui vit en Argentine, où l’inflation annuelle vient d’atteindre 55,1 %.

Au Sri Lanka, des journées de protestations pour répondre à la hausse des prix du riz et d’autres produits de première nécessité ont aggravé la crise gouvernementale, forçant des ministres à démissionner. Le président péruvien Pedro Castillo a dû rapidement annuler un couvre-feu, que son gouvernement avait imposé le 5 avril, après que la mesure a été largement ignorée par des manifestants réclamant de l’aide face à la hausse du coût de la nourriture, du carburant et des engrais.

Alors que l’impact de cette crise mondiale continue de se faire sentir, le Fonds monétaire international a engagé des pourparlers avec les gouvernements égyptien, sri-lankais et tunisien dans le but de « restructurer » leurs dettes vertigineuses. Ces négociations ont pour objectif de s’assurer que les paiements aux riches détenteurs d’obligations se poursuivront, ce qui aura des conséquences dévastatrices pour la majorité laborieuse. « La dette des pays en développement a fortement augmenté, atteignant son plus haut niveau en 50 ans », a noté la semaine dernière David Malpass, président du groupe Banque mondiale.

Aux États-Unis, l’inflation annuelle a atteint 8,5 % le mois dernier, tandis que les salaires moyens n’ont augmenté que de 5,6 %, soit la plus forte baisse des salaires réels depuis 40 ans. Les prix de l’essence ont augmenté de 48 % au cours de l’année, tandis que ceux de la viande, de la volaille, du poisson et des œufs ont augmenté de 13,7 %.

Face à cette pression, les grèves pour accroître les salaires des mineurs de Warrior Met Coal en Alabama, des infirmières des établissements de Sutter Health en Californie du Nord et d’autres syndiqués méritent un large soutien et donnent un exemple important à des millions de travailleurs.

« Nous devons faire connaître chacune de ces luttes et renforcer la solidarité des travailleurs et de nos syndicats », a dit au Militant Osborne Hart, candidat du Parti socialiste des travailleurs au Sénat des États-Unis pour la Pennsylvanie. « Il n’y a rien que les travailleurs puissent faire pour arrêter l’inflation. Mais nous pouvons nous tourner vers nos syndicats et les utiliser pour nous protéger de ses effets. Nous devons lutter pour des augmentations de salaire et des ajustements automatiques au coût de la vie dans toutes les conventions collectives. Et nous devons lutter pour étendre ces protections à toutes les prestations, à toutes les pensions et à tous les programmes gouvernementaux comme la sécurité sociale, afin que nos salaires augmentent chaque fois que les prix augmentent. »

Le président Joseph Biden prétend que l’invasion de l’Ukraine par Moscou est responsable de 70 % de l’inflation récente. Kristalina Georgieva, directrice du FMI, a renchéri en qualifiant la guerre de « revers massif » pour « notre prospérité collective ». La vérité, c’est que pour des millions de travailleurs, il n’y a pas eu de prospérité, « collective » ou autre.

Les hausses de prix ravageaient les moyens de subsistance de la classe ouvrière bien avant l’invasion de Poutine, mais la guerre a augmenté la pression. La Russie et l’Ukraine exportent un quart du blé mondial, mais depuis que la guerre a commencé, une grande partie de ce blé n’est pas transportée. En conséquence, le prix du pain a augmenté de 70 % au Liban depuis début mars. David Beasley, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial de l’ONU, affirme que des millions de personnes supplémentaires dans le monde sont désormais confrontées à la famine, maintenant que l’agence a réduit de moitié ses expéditions de céréales.

Tout cela a aggravé l’inflation actuelle, mais ne l’a pas déclenchée. Les hausses de prix proviennent du fait que, pour contrecarrer l’augmentation de leurs niveaux d’endettement, les gouvernements capitalistes ont imprimé d’énormes quantités de monnaie, ce qui a eu pour effet de réduire le pouvoir d’achat de leur devise. Cela est survenu après que des décennies de stagnation des taux de profit ont fait croître la concurrence pour les marchés. Les guerres et le renforcement des capacités militaires, qui coûtent des milliards mais ne produisent aucune valeur, renforcent les pressions inflationnistes.

L’administration démocrate actuelle et l’administration républicaine qui l’a précédée ont imprimé 5 000 milliards de dollars dans le cadre de plans de « relance » pendant la pandémie. Toutes deux ont renforcé la machine à tuer de l’armée américaine. D’autres gouvernements capitalistes ont procédé de la même manière, ce qui a permis de disposer de plus d’argent pour moins de biens produits, faisant ainsi grimper les prix.

Le coût d’un emprunt immobilier aux États-Unis a bondi de plus d’un tiers au cours de l’année écoulée. Les taux d’intérêt immobiliers ont atteint 5 % pour la première fois depuis 2011. Les saisies immobilières sont désormais en forte hausse, leur nombre a septuplé en janvier par rapport au mois précédent. Et le coût de la location d’un logement dans les 50 plus grandes zones urbaines des États-Unis a grimpé en flèche de 19,3 % au cours de l’année dernière.

Cette situation complique encore les choses pour les jeunes travailleurs qui désirent fonder une famille. Près de 18 % de la population américaine s’entasse aujourd’hui dans des ménages multigénérationnels, soit quatre fois plus qu’en 1971. De plus en plus de personnes n’ont pas les moyens d’avoir leur propre logement, ce qui affecte les décisions que prennent les travailleurs, femmes et hommes, quant à la façon de vivre leur vie et les choix que font les femmes quant au moment et à l’opportunité de donner naissance à un enfant.

La hausse des salaires ne provoque pas l’inflation

Les patrons et les commentateurs de la presse inversent les causes de cette crise. Dans un article du 12 avril, le chroniqueur du New York Times, Paul Krugman, en fournit un exemple typique. Après avoir déploré le fait que « l’économie américaine semble toujours en surchauffe », il ajoute : La hausse des salaires est une bonne chose, mais pour l’instant, elle se fait à un rythme insoutenable ».

Dans le cadre du capitalisme, les employeurs s’approprient la plus grande partie possible de la richesse produite par notre travail en maintenant les salaires à un bas niveau et en intensifiant notre exploitation par le biais de l’accélération des cadences et de l’allongement des heures de travail. Les augmentations de salaires n’entraînent pas de hausse des prix, mais elles réduisent les profits que la classe exploiteuse s’approprie.

Pourtant, voici ce que propose Paul Krugman comme « solution » à l’inflation : « Nous avons besoin de voir le chômage augmenter au moins un peu. » Les capitalistes et les couches de la classe moyenne supérieure pour lesquels il écrit fustigent les travailleurs qui luttent pour de meilleurs salaires.

La presse patronale se félicite du faible taux de chômage aujourd’hui. Mais ce taux ne reflète pas la réalité. En fait, nous sommes plus nombreux à être sans emploi qu’il y a deux ans. Le taux de participation à la population active, une mesure du nombre de travailleurs qui ont un emploi ou qui cherchent activement du travail, reste bien plus bas qu’avant la pandémie. Les gens ont renoncé à chercher du travail ou ont été contraints de rester à la maison, faute de services de garde d’enfants ou de soins aux personnes âgées abordables.

« Les personnes qui abandonnent la vie active sont généralement des femmes, n’ont pas de diplôme et ont travaillé dans des secteurs mal rémunérés », rapporte le Wall Street Journal le 16 avril.