La fuite à la Cour suprême alimente le débat sur la défense des familles et les droits des femmes

Terry Evans
le 23 mai 2022
Heather Hernandez avec trois de ses enfants, le 28 avril 2021. Elle a été forcée de quitter son emploi car les écoles ont fermé pendant la pandémie. Il y avait des millions de femmes dans la même position.
COLORADO PUBLIC RADIO/HART VAN DENBURGHeather Hernandez avec trois de ses enfants, le 28 avril 2021. Elle a été forcée de quitter son emploi car les écoles ont fermé pendant la pandémie. Il y avait des millions de femmes dans la même position.

La fuite, le 2 mai, d’un projet de décision de la Cour suprême signée par le juge Samuel Alito annulant la décision Roe c. Wade de 1973 a déclenché un débat dans tout le pays. Elle a suscité de la part des médias libéraux une réponse hystérique, pleine de désinformation, visant à renverser la chute des appuis aux démocrates en vue des prochaines élections de mi-mandat.

Si cette décision ou une décision similaire est prise, il faudra se joindre à la discussion et au débat qu’elle ouvrira sur la meilleure façon de défendre les intérêts des femmes de la classe ouvrière et de leurs familles. Cette discussion a été interrompue en 1973 avant que des millions de personnes aient été convaincues que l’avortement était nécessaire dans le cadre de la planification familiale et de la défense des droits des femmes. Depuis lors, ceux qui cherchent à défendre l’accès légal des femmes à l’avortement ont eu les mains liées par l’arrêt Roe. Ce fut un coup dur pour la lutte pour l’émancipation des femmes. Se concentrer sur une défense de cette décision ne fera que brouiller davantage les vraies questions.

Il est utile de lire l’ébauche de Samuel Alito. Elle est loin d’être une diatribe de droite, comme le suggèrent les libéraux. Alito cite le jugement de Ruth Bader Ginsberg qui a dit que la décision Roe c. Wade « a interrompu un processus politique qui allait vers une réforme et je croyais donc qu’elle allait prolonger la division et différer un règlement stable de la question ».

La décision Roe montre ce qui arrive quand une majorité de juges motivés politiquement concoctent une décision qui ne se fonde ni sur la Constitution ni sur un changement déjà accompli et écrasant dans l’opinion publique. Cette décision a signifié que le combat se poursuivrait sans rien régler.

Montée des attaques contre les familles ouvrières

Les travailleurs ne peuvent aborder la question de l’accès à l’avortement sans tenir compte des pressions croissantes qui déchirent nos familles. La question de l’accès à l’avortement est liée à la recherche de moyens pour résister à l’impact plus large sur la vie des travailleurs de la crise capitaliste, qui rend de plus en plus difficile la création d’une famille et de plus en plus lourd le fardeau imposé aux familles.

Cette crise s’accélère après des années de baisse des salaires réels ; de logement et garde d’enfants inabordables ; d’heures de travail plus longues, de temps supplémentaire obligatoire, d’horaires de travail épuisants qui affectent la vie de famille ; et du poids intolérable de l’endettement croissant des ménages. Tout cela est exacerbé par les plus fortes hausses de prix en 40 ans.

Quelque quatre millions de travailleurs travaillent à temps partiel parce qu’ils n’arrivent pas à trouver d’emplois à temps plein. Environ 5,9 millions de travailleurs veulent un emploi mais ne sont pas comptés comme chômeurs parce qu’ils ont renoncé à chercher du travail. Le taux d’activité a chuté plus fortement pour les femmes que pour les hommes. Des millions de femmes ont été forcées d’arrêter de travailler pendant la récession en raison du manque de garderies et des fermetures d’écoles. Il y a aujourd’hui un million de femmes qui travaillent de moins qu’en 2019.

Lutter pour changer ces conditions est au cœur de la lutte pour l’égalité sociale et économique des femmes. Ces conditions limitent les alternatives offertes aux femmes sur quand et si avoir des enfants. Elles restreignent leurs décisions sur le nombre d’enfants et elles accroissent les pressions sur les travailleurs ayant des familles.

Il n’est pas possible d’aborder ces questions sans un programme de lutte pour un accès plus large à des soins de santé abordables pour les familles, à la garde d’enfants, au logement, à l’emploi, à la contraception, à une adoption facilement accessible et plus encore. Ce combat sera nécessaire pour qu’une nette majorité de la population soit en faveur d’inclure l’avortement dans tous les programmes publics de planification familiale.

Sous le capitalisme, c’est vers la famille que se tournent les travailleurs pour se protéger. C’est là que les personnes âgées et les handicapés sont soignés et que nos enfants sont élevés et commencent à apprendre. C’est là où les jeunes travailleurs doivent trop souvent retourner lorsque les patrons nous mettent au chômage. Les enfants, les personnes âgées et les travailleurs malades ou handicapés ne valent rien pour la classe capitaliste. Leur course au profit se fait au mépris total des travailleurs qui créent leur richesse.

« Sûr, légal et rare »

En 1992, le président Bill Clinton a dit qu’il avait pour objectif de rendre l’avortement « sûr, légal et rare ». Mais c’était une imposture. La classe capitaliste qu’il défend n’a d’autre but que de faire du profit sur le dos des travailleurs, ce qui a un effet dévastateur sur nos vies. Elle n’a pas l’intention de créer le genre de conditions dans lesquelles la décision d’avorter pourrait devenir rare. Pour que cet objectif soit réel, il faudrait des relations sociales différentes, ce qui est possible si la classe ouvrière, la seule classe capable de défendre la vie humaine, prend le pouvoir politique entre ses mains.

Bien que personne ne sache comment la Cour suprême finira par statuer sur cette affaire, le débat se poursuivra. Aujourd’hui, quelque 13 États ont adopté des « lois de déclenchement » qui restreindraient l’avortement si la Cour invalidait l’arrêt Roe. Le Kentucky, la Louisiane, l’Oklahoma et le Dakota du Sud interdiraient immédiatement la plupart des avortements, sauf si la vie ou la santé de la femme est en danger.

Quatorze autres États dépénaliseraient l’avortement, mais le limiteraient aux 22 premières semaines de la grossesse. Ces États « progressistes » intègrent les critères médicaux de Roe pour la légalisation et non le droit des femmes à une protection égale de la loi en vertu du 14e amendement de la Constitution. Cela signifie faire de la « viabilité » des embryons en croissance le critère permettant de fixer des limites temporelles à l’avortement légal.

Mais aucun fœtus n’est « viable » en dehors de l’utérus sans les soins et le soutien d’une mère et de sa famille.

En fondant son jugement sur ces motifs médicaux douteux, la décision de 1973 a facilité la tâche des opposants aux droits des femmes, qui ont pu se targuer d’être les défenseurs du « droit à la vie ». Mais leurs prétentions sont injustifiées. Le système capitaliste, un système de loups qui se mangent entre eux, repose sur une série interminable de guerres, de décès et de mutilations de travailleurs au travail, de racisme et de perpétuation de l’oppression des femmes. C’est la classe ouvrière, et sa lutte pour libérer l’humanité de ces maux, qui est le défenseur de la vie.

En 2017, il n’y avait aucun établissement où les femmes pouvaient se faire avorter dans 89 % des comtés américains, résultat du fait que le débat n’a pas été tranché et que la décision Roe c. Wade a limité le cadre de la discussion.

Les démocrates et la gauche de la classe moyenne insistent pour dire que la décision de Samuel Alito déclenchera un flot d’attaques contre les droits des homosexuels et d’autres conquêtes que les travailleurs ont intérêt à défendre. L’annulation de Roe menace « le droit à l’intimité et au mariage entre personnes de même sexe, au mariage interracial et à l’utilisation de la contraception », a affirmé le département de la Justice de Joe Biden dans un mémoire au tribunal.

Mais l’ébauche de Samuel Alito, rendue publique, affirme clairement le contraire : « Pour s’assurer que notre décision ne soit pas mal comprise ou mal interprétée, nous soulignons que […] rien dans cet avis ne doit être compris comme mettant en doute des jugements précédents qui ne concernent pas l’avortement. »

La gauche de la « culture de l’annulation » a déjà clairement fait savoir qu’elle s’oppose à un débat sur ces questions, qu’elle a l’intention de mettre fin à la discussion et de nuire à tous ceux qui ne sont pas d’accord avec elle par tous les moyens nécessaires. Le bureau de Madison du groupe anti-avortement Action famille Wisconsin a été victime d’un incendie criminel le 8 mai. « Si les avortements ne sont pas sûrs, alors vous ne l’êtes pas non plus », a-t-on peint à la bombe sur le mur.

Des manifestants se sont également présentés devant les maisons où vivent les familles de Samuel Alito et des juges Brett Kavanaugh et John Roberts, qui n’ont pas signé le projet d’Alito. Il faut s’attendre à d’autres attaques de ce type.

Les démocrates utilisent ces attaques pour convaincre les opposants au projet d’Alito de voter pour eux. Ils s’engagent à changer le caractère de la Cour suprême pour en faire une institution plus « progressiste », adoptant des décisions qui devraient être du ressort du Congrès et des États.

La voie en avant lutte de classe

Mais aucun véritable progrès pour les travailleurs et nos droits n’est venu des tribunaux. Les gains ont toujours été le produit de gigantesques luttes de classe, qui transforment les gens, l’opinion publique et ouvrent la voie au progrès humain.

Les travailleurs doivent considérer le débat sur le projet de décision comme une occasion cruciale de participer à la discussion sur la perspective ouvrière qui est nécessaire pour les femmes et nos familles.

« Pour nous défendre, nous, les travailleurs, devons nous appuyer sur nos propres capacités à agir ensemble. Cela exige que nous nous organisions indépendamment des patrons et de leurs partis démocrate et républicain », a dit au Militant Joanne Kuniansky, candidate du Parti socialiste des travailleurs au Congrès dans l’État du New Jersey. « Nous devons former notre propre parti politique, un parti des travailleurs basé sur les syndicats, afin de mener la lutte pour l’émancipation des femmes et pour remplacer la domination capitaliste par un gouvernement des travailleurs et des agriculteurs. »