MONTRÉAL — Six semaines d’audiences publiques obligatoires à propos de la Loi sur les mesures d’urgence se sont terminées le 25 novembre. Cette loi, imposée par le gouvernement libéral du premier ministre Justin Trudeau, n’avait jamais été utilisée auparavant. La loi a été utilisée pour réprimer la manifestation de trois semaines du « Convoi de la liberté » des camionneurs, à Ottawa et près de ponts menant aux États-Unis en février dernier. Ces audiences avaient été convoquées par la Commission sur la Loi sur les mesures d’urgence pour déterminer si l’attaque du gouvernement contre les droits des camionneurs était légale. La commission devrait remettre son rapport au Parlement d’ici le 20 février.
Plus de 75 témoins ont comparu devant la commission, dont des policiers, des ministres du gouvernement, des dirigeants du Convoi de la liberté et d’autres participants. Quelque 9 500 contributions écrites sont parvenues d’individus et d’organisations, y compris de la Ligue communiste au Canada, dont la déclaration s’intitulait : « Défendons les droits démocratiques et politiques ! Abrogez la loi sur les mesures d’urgence ! » Justin Trudeau, la dernière personne à témoigner, a défendu l’attaque de son gouvernement contre les camionneurs et contre les droits politiques.
Les camionneurs ont encombré les rues d’Ottawa autour de la colline parlementaire avec des semi-remorques, des fourgonnettes et des voitures, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et ont manifesté quotidiennement. Ils cherchaient ainsi à faire pression sur le gouvernement pour qu’il mette fin aux mandats de vaccination du gouvernement fédéral contre la COVID, qui menaçaient leurs emplois et leurs moyens de subsistance, ainsi qu’à d’autres politiques gouvernementales avec lesquelles ils n’étaient pas d’accord.
Pour mieux faire accepter sa décision d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, annulant les droits politiques fondamentaux, Trudeau a mené une campagne de diffamation contre les camionneurs, qu’il a faussement qualifiés de « suprémacistes blancs, qui agitent des croix gammées et profanent des monuments aux morts ».
Après avoir imposé la loi le 14 février, Ottawa a déclenché « l’un des plus grands gestes de répression policière de l’histoire moderne du Canada », a écrit la Ligue communiste à la Commission sur la Loi sur les mesures d’urgence. Plus de 200 personnes ont été arrêtées, dont les principaux organisateurs du Convoi de la liberté, qui font toujours face à des accusations criminelles.
Dans son témoignage, Chris Deering, un vétéran de l’armée, a dit à la commission qu’il estimait qu’il était de son devoir de participer à la manifestation. Lorsqu’un policier l’a arrêté, « il m’a donné un coup de genou dans le côté et m’a donné des coups de pied dans le dos, a indiqué Deering. J’avais les mains complètement levées. Je disais : « Je suis paisible, je suis paisible. Je ne résiste pas. »
Tamara Lich, l’une des principaux porte-parole du Convoi de la liberté et une dirigeante du parti séparatiste albertain Maverick, a passé un total de 49 jours en prison après avoir été arrêtée sans avoir été ni jugée ni condamnée. Compte tenu de conditions pénibles de mise en liberté sous caution, elle a précisé : « Je devrai vivre dans ces conditions, jusqu’à ce que mon procès ait lieu quelque part l’année prochaine. »
Entre autres restrictions, Tamara Lich ne peut en aucun cas utiliser les médias sociaux, ni contacter l’un des autres dirigeants du convoi ni, faire quoi que ce soit en rapport avec des mouvements opposés aux mandats de vaccination.
La Ligue communiste appelle à l’abandon de toutes les accusations contre Tamara Lich et les autres dirigeants et participants du convoi. « En continuant de violer leurs droits, Ottawa, la police et les tribunaux menacent les droits démocratiques et politiques de tous. »
Dans leur témoignage, Justin Trudeau et d’autres représentants du gouvernement ont fait valoir que l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence était légalement justifiée en raison d’une « urgence nationale d’ordre public ».
Justin Trudeau a affirmé qu’il y avait un « potentiel » de violence dans le convoi, bien qu’il ait admis qu’aucune « violence grave » n’ait eu lieu.
Il a soutenu que la manifestation d’Ottawa était illégitime. « Ce n’était pas que [les manifestants] voulaient juste être entendus, a-t-il prétendu. Ils voulaient que nous changions la politique de santé publique. » De tels arguments pourraient être utilisés contre toute personne protestant contre des politiques gouvernementales.
Il a dit avec suffisance qu’il était « absolument serein et confiant d’avoir fait le bon choix ».
Les dirigeants capitalistes visent les travailleurs
La vice-première ministre Chrystia Freeland a déclaré à la commission qu’elle avait rencontré les PDG des principales banques canadiennes, qui l’avaient convaincue que le convoi avait « profondément compromis » l’économie du pays. Elle a affirmé que cette « menace pour la sécurité économique » mettait en danger « la sécurité nationale », ce qui justifiait l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence.
Une grande partie du débat devant la commission a porté sur la question de savoir si la protestation dépassait le « seuil » permettant d’invoquer les restrictions draconiennes des droits fondamentaux permis par la loi. La Ligue communiste a expliqué qu’il fallait rejeter toute la loi, ainsi que « la prémisse de la commission ».
Un sondage effectué après la fin des audiences a montré qu’une majorité s’opposait à l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence contre les camionneurs. Beaucoup ont dit qu’ils avaient initialement soutenu les actions de Justin Trudeau, mais ont changé d’avis après avoir vu certaines des audiences diffusées en direct.
Un exemple dramatique de l’utilisation croissante de législations antiouvrières a eu lieu pendant les audiences, lorsque le gouvernement provincial de l’Ontario du premier ministre Douglas Ford a invoqué une des lois antitravailleurs les plus draconiennes depuis des années, le projet de loi 28, dans le but d’écraser la grève de 55 000 travailleurs de soutien scolaire, membres du Syndicat canadien de la fonction publique. Les travailleurs ont défié la loi et, avec le soutien du mouvement ouvrier à l’échelle nationale, ils ont forcé Ford à abroger la loi.
Après l’application de la Loi sur les mesures d’urgence, les 180 000 membres du Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO) ont souligné, dans une déclaration le 17 février, comment de telles lois pourraient être utilisées contre les travailleurs. « Historiquement, le mouvement ouvrier a souvent été la cible de législations visant à réprimer ceux qui ne sont pas d’accord avec le gouvernement, y compris lorsque des travailleurs ont exigé de meilleures conditions de vie par des actions de grève. »
« La déclaration du SEFPO est juste. Dans le contexte de l’approfondissement de la crise économique, sociale et politique du système capitaliste, l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence contre les camionneurs était une attaque anticipée, visant à créer un précédent contre la montée de la résistance de la classe ouvrière et l’utilisation par les travailleurs du pouvoir de leurs syndicats afin de défendre nos intérêts », a expliqué au Militant Beverly Bernardo, candidate de la Ligue communiste à la prochaine élection partielle au Québec, dans la circonscription Saint-Henri-Sainte-Anne de Montréal.
« Les familles de la classe dirigeante milliardaire utilisent de plus en plus des lois antigrèves. En Corée du Sud, les camionneurs ont récemment été contraints de défier une législation de retour au travail et, aux États-Unis, les démocrates et les républicains au Congrès se sont unis pour adopter une loi interdisant la grève du 9 décembre des cheminots, les forçant à accepter des clauses contractuelles contre lesquelles la majorité d’entre eux avait voté.
« L’avertissement du SEFPO devrait être pris au sérieux par l’ensemble du mouvement syndical et tous les travailleurs combattifs, a poursuivi Berverly Bernardo. La loi sur les mesures d’urgence vise carrément la classe ouvrière dans son ensemble et nos syndicats. »