En date du 14 février, le bilan du tremblement de terre le plus meurtrier en Turquie depuis près d’un siècle a atteint 35 000 morts et les corps d’innombrables autres personnes sont encore enfouis sous les décombres. Plus de 5 500 personnes sont mortes jusqu’à maintenant dans le nord de la Syrie.
Des centaines de milliers de survivants passent des nuits glaciales avec peu de nourriture dans des tentes bondées. « Pas d’électricité, pas d’eau, pas de toilette », a souligné Saba Yigit, une gouvernante, au New York Times. À Adiyaman, une ville de 300 000 habitants, les familles ont creusé des tombes et elles ont abattu les murs des supermarchés et des épiceries à la recherche de nourriture et d’eau.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé qu’il était « impossible pour quiconque de se préparer à l’ampleur de la catastrophe ».
Pourtant, ce n’est pas un secret que la région se situe sur une ligne de faille. Le nombre de décès n’est pas le résultat de l’ampleur du tremblement, mais plutôt des logements de mauvaise qualité et des conditions pitoyables dans lesquelles vivent les gens. Ni les gouvernements turc et syrien, ni Washington, ni Moscou, ni Téhéran ni les autres puissances qui interviennent dans la région n’ont l’intention de changer cela. De plus, leurs conflits et leurs guerres pour avoir plus de territoire et d’influence entravent les efforts d’aide.
C’est le fonctionnement du capitalisme, axés sur les profits, qui a transformé le tremblement de terre en un désastre social.
Dans le nord de la Syrie, le tremblement de terre du 6 février a ajouté davantage de misère à la guerre civile de 10 ans dans laquelle plus d’un demi-million de personnes ont perdu la vie. La guerre a commencé en 2011 lorsque le régime du président Bashar al-Assad a tenté d’écraser un soulèvement populaire en faveur de droits politiques. Moscou et Téhéran sont intervenus et ont fourni la force militaire qui a été cruciale pour maintenir la dictature.
Des dizaines de milliers de civils sont sans-abri dans le nord de la Syrie. Les bâtiments dans les zones contrôlées par les rebelles sont déjà endommagés par des années de bombardement par les forces d’Assad et de Moscou. Ces attaques ont également détruit des hôpitaux et des centres de santé.
Depuis 2016, les dirigeants turcs ont effectué quatre incursions militaires dans le nord de la Syrie, ciblant essentiellement les Unités de protection du peuple kurde (YPG). Les YPG ont pris le contrôle d’une grande partie de la région où vivent quelque deux millions de Kurdes syriens. Ankara considère le contrôle kurde comme une menace en raison de l’exemple qu’il offre aux Kurdes en Turquie, qui ont combattu les attaques gouvernementales sur leurs droits nationaux depuis des décennies.
Les quelque 30 millions de Kurdes constituent une nationalité opprimée répartie entre l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie. Tous les dirigeants capitalistes ont réprimé la lutte des Kurdes pour une patrie, avec la complicité de Washington. Les dirigeants américains maintiennent 900 soldats dans le nord de la Syrie afin de protéger leurs propres intérêts stratégiques au Moyen-Orient.
Au cours des dernières années, Recep Tayyip Erdogan a intensifié la répression par son régime des Kurdes en Turquie, les attaques contre la Syrie et les assauts contre les droits politiques. Moins d’une semaine après le tremblement de terre, les forces turques ont effectué une frappe mortelle de drones dans la ville de Kobané, au nord de la Syrie.
Un peu d’aide a commencé à arriver en Turquie. Le 9 février, l’Ukraine a envoyé 88 intervenants d’urgence. « Il y a une guerre dans notre pays, mais nous comprenons que nous devons aider », a déclaré Oleksandr Khorunzhyi, porte-parole du Service national d’urgence de l’État ukrainien. « Nous sympathisons avec le peuple turc, les familles des défunts et des blessés. »
Le 12 février, une brigade médicale spécialisée de 32 personnes est arrivée de Cuba. Le contingent international Henry Reeve a été créé par Fidel Castro en 2005 pour offrir de l’aide aux résidents de la Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina, une offre que le gouvernement américain avait rejetée. Depuis, la brigade aide les populations affectées par les tremblements de terre dans plus d’une demi-douzaine de pays, dont le Pakistan, le Pérou et Haïti.
Des volontaires de Turquie ont construit de toutes pièces un système de soins de santé de fortune. Un étudiant en médecine a parcouru plus de 600 km en auto-stop jusqu’à la zone sinistrée. Un avion rempli de médecins et d’infirmières est arrivé d’Istanbul. « Je viens d’apprendre la nouvelle et j’ai pensé :je ne peux pas rester à la maison », a expliqué au New York Times Mumtaz Buyukkoken, 27 ans, un interne en médecine. Le gouvernement turc a envoyé 141 000 travailleurs humanitaires pour rechercher les morts, distribuer de la nourriture, des couvertures, des couches et aider à monter des tentes.
Dans les zones touchées par la catastrophe avec d’importantes populations kurdes, alévis et arabes, les gens s’organisent principalement sans l’aide du gouvernement, a dit au Militant Turan Zorlis, un bénévole kurde pour l’Association culturelle des travailleurs réfugiés à Londres. Le gouvernement discrimine, a-t-il dit, en concentrant ses efforts principalement dans les zones peuplées de partisans de l’AKP, Parti de la justice et du développement, le parti gouvernemental.
Colère dirigée contre Recep Tayyip Erdogan
Partout en Turquie, le chagrin se transforme en colère dirigée contre le gouvernement, qui a consolidé le contrôle des programmes de secours aux sinistrés du pays. Il a collecté 38 milliards de dollars d’impôts prélevés sur ces programmes après qu’un tremblement de terre en 1999 a tué 17 000 personnes. Comme la Croix-Rouge aux États-Unis, seule une fraction des milliards collectés parvient réellement à ceux qui ont besoin d’aide.
Entre 2018 et 2019, le gouvernement a également autorisé les propriétaires d’immeubles à payer pour enregistrer des propriétés sans installer de dispositifs de sécurité censés offrir une protection contre les tremblements de terre. Le gouvernement a ainsi engrangé 3,1 milliards de dollars supplémentaires. Face aux plaintes croissantes, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan s’est retourné contre les propriétaires d’entreprises, en a arrêté des dizaines en les blâmant pour une construction de qualité inférieure. Dans le quartier Saraykint d’Antakya, les habitants ont pointé du doigt un immeuble de luxe de 14 étages nouvellement construit qui s’est effondré. « Le béton est comme du sable », a expliqué un homme au New York Times. « Il a été construit trop rapidement. »
Recep Tayyip Erdogan, qui fait face à un défi pour se faire réélire ce printemps, a affirmé qu’il reconstruirait les zones touchées en un an et paierait les loyers de millions de personnes déplacées.
Les premiers secours dans la zone syrienne tenue par les rebelles ont été donnés le 9 février par un convoi des Nations unies en provenance de Turquie. Pendant des années, les puissances capitalistes apportant une aide aux quatre millions de personnes qui y vivent l’ont fait via la Turquie. Bachar al-Assad et ses partisans à Moscou veulent écraser les rebelles et dire que les livraisons d’aide violent la souveraineté syrienne.
Ils insistent pour que toute aide passe par un seul passage frontalier entre la Syrie et la Turquie, à Bab al-Hawa. Mais après le tremblement de terre, le gouvernement syrien a approuvé l’ouverture d’autres points de passage. En même temps, Bachar al-Assad a réitéré sa demande pour que son gouvernement coordonne toute l’aide.
Washington a annoncé qu’il suspendait ses sanctions contre la Syrie pour six mois.
Ces sanctions frappent plus durement les travailleurs et les agriculteurs, aggravant l’effondrement social et économique généralisé dû à la guerre civile.