East Palestine, Ohio — Les travailleurs, les agriculteurs et les propriétaires de petites entreprises ici et dans les villes voisines de l’Ohio et de la Pennsylvanie sont de plus en plus furieux de la réponse des patrons des chemins de fer et du gouvernement face aux effets du déraillement, le 3 février, du train 32N de la Norfolk Southern. Cela comprend l’incendie qui a suivi, la combustion et l’épandage de produits chimiques toxiques, ainsi que la pollution des terres et de l’eau que cela a générée. Et ils en craignent l’impact à long terme sur leur santé et sur leurs conditions de vie.
Les cheminots — qui sont très familiers avec le mépris envers les conditions dans lesquelles ils travaillent et ses conséquences sur la population qui vit près des rails — discutent de la nécessité d’un contrôle syndical sur les opérations ferroviaires.
Des travailleurs correspondants du Militant ont rencontré le 25 février Tish McDevitt, qui vit à Negley, juste au sud de East Palestine. On lui a dit d’évacuer lorsque la compagnie de chemin de fer allait drainer et brûler le chlorure de vinyle toxique des wagons citernes qui avaient déraillé et qui menaçaient d’exploser. « Mais maintenant, on nous dit que nous ne sommes pas admissibles à une aide pour l’évacuation ou les conséquences de l’incendie », a-t-elle dit. Le ruisseau Leslie Run, qui se déverse dans la rivière Ohio et qui transportait des produits chimiques, traverse Negley. « Et nous sommes extrêmement inquiets de la qualité de l’eau de notre puit. Les tests indiquent peut-être que l’eau est « sécuritaire » aujourd’hui. Qu’en est-il maintenant des produits chimiques qui ont eu le temps de s’infiltrer dans le sol ? »
Diana Elzer, copropriétaire de la serre Sutherin où travaille Tish McDevitt, a dit : « Personne ne blâme l’équipage de ce train. C’est la cupidité de l’entreprise qui a causé la catastrophe. Pourquoi l’entreprise ne pouvait-elle pas dire ce que le train transportait ? Il a fallu quelques jours avant que l’Agence de protection environnementale ne publie les informations sur les autres produits chimiques qui ont été déversés. »
En fait, les premiers intervenants sur les lieux après le déraillement et le début du feu n’avait pas reçu de vêtements pour se protéger contre les matières dangereuses ni de respirateurs. Ils ne savaient pas ce qui brûlait ou ce qui était libéré dans l’atmosphère. Quelques jours plus tard, il est devenu clair que l’affichage sur les wagons citernes indiquant la présence de matières chimiques dangereuses avait fondu dans l’incendie.
Diana Elzer s’interroge sur la manière dont on nettoie la voie ferrée. « Le PDG de la Norfolk Southern, Alan Shaw, a admis que la société n’avait aucune intention de retirer le sol contenant les produits chimiques qui sont sous les rails, a-t-elle expliqué. Après la combustion de ces produits chimiques mortels, ils ont réparé les rails et fait rouler les trains en un rien de temps. »
Lorsque les gens se sont suffisamment plaints et que la presse l’a signalé, « 19 jours après la catastrophe, Shaw a déclaré : “J’ai entendu les membres de la communauté” et j’enlèverai le sol contaminé », a poursuivi Elzer. Linda Murphy, qui vit à l’extrémité sud de East Palestine, nous a dit que lorsque Norfolk Southern et les responsables du gouvernement ont annoncé qu’ils avaient l’intention de drainer et de mettre le feu au chlorure de vinyle toxique, « [j]e suis rentrée chez moi, j’ai fait monter le cheval dans la remorque, rassemblé nos chiens et je me suis enfuie.
« Quand nous sommes revenus, la face, le cou et la poitrine de mon cheval avaient gonflé. Il était léthargique. Le vétérinaire a expliqué que cela était causé par une réaction allergique à un « problème environnemental ». Devinez lequel !
« Le ruisseau Leslie Run, qui coule juste en-dessous de notre maison, est plein de poissons et de grenouilles mortes ».
Le ministère des Ressources naturelles de l’Ohio a augmenté son estimation du nombre de poissons et d’autres animaux tués près d’East Palestine de 3 500 à 44 000.
Linda Murphy a dit que la clinique que le ministère de la Santé de l’Ohio a ouverte à East Palestine est une farce. « Depuis l’incendie, j’ai eu des maux de tête, mes yeux me font mal, ma gorge me tue. À l’extérieur, j’ai du mal à respirer. Donc, le premier jour de son ouverture, j’ai pris congé et j’y suis allée. Il n’y avait pas de médecin. L’infirmière a pris les renseignements sur moi et m’a référée à mon propre médecin en diagnostiquant une “infection des sinus”. »
L’équipage du train alerté trop tard
Le Conseil national de la sécurité des transports a publié le 23 février un rapport préliminaire sur le déraillement. On peut y lire qu’un détecteur en bordure de la voie n’a signalé à l’équipage du train qu’une roue surchauffait que quelques secondes avant le déraillement.
Norfolk Southern, comme les autres compagnies ferroviaires, dit que l’une des raisons pour lesquelles elle a réduit le nombre de travailleurs, ce qui contribue à augmenter ses profits, c’est que ceux-ci ont été remplacés par une meilleure technologie. Cela comprend les détecteurs en bordure de route. Alors que le train 32N approchait de East Palestine, trois détecteurs ont commencé à enregistrer la haute température d’une roue sur le wagon 23, qui était alors 57oC de plus que la température de l’air enregistrée à l’étape no 69.01, où des images de caméras de sécurité dans un poste de codage montraient des étincelles émanant de la roue. Ça n’a pas suffi pour lancer une alerte à l’équipage.
Lorsque le train est arrivé à East Palestine, la température de la roue avait atteint 141oC de plus que l’air. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’équipage a finalement reçu une alerte, bien trop tard pour empêcher le déraillement.
La présidente de la Commission nationale de la sécurité dans le transport, Jennifer Homendy, a admis à la presse que, bien que le « système » d’alerte du détecteur ait fonctionné comme il le devait, le déraillement et la crise qui a suivi « étaient 100 % évitables ».
Rappel de la catastrophe de Lac-Mégantic
Pour de nombreux cheminots, ce qui s’est déroulé à East Palestine rappelle la calamité de 2013 qui s’est abattue sur les habitants de Lac-Mégantic, au Québec. Les freins d’un train de wagons-citernes contenant du pétrole et qui était dans une pente à l’extérieur de la ville ont lâché, le train a dévalé la pente vers le centre de la ville et déraillé, en explosant et en s’enflammant. Quarante-sept personnes ont été tuées.
Lorsque les représentants du gouvernement et les patrons des chemins de fer ont essayé d’en rendre les cheminots responsables, ces derniers ont été disculpés. Ce sont les patrons, avec leurs équipes d’un seul homme et leurs quarts de travail de 12 heures, qui étaient responsables.
La Coalition des citoyens et des organisations engagés dans la sécurité ferroviaire s’est battue pour que les voies du chemin de fer soient déplacées en dehors du centre-ville. Lorsque des membres de la Ligue communiste sont venus en visite le 25 février et ont discuté de ce qui se passait à East Palestine, le porte-parole du comité, Robert Bellefleur, a dit qu’ils étaient au courant et qu’ils avaient envoyé une déclaration de solidarité.
« [N]otre Coalition de Lac-Mégantic supporte la population locale de Est Palestine à travers cette épreuve, afin qu’elle reçoive tout le soutien nécessaire des autorités, ainsi que les indemnisations auxquelles elle a droit de la part de la compagnie ferroviaire responsable de ce désastre environnemental ! »
Afin d’éviter qu’on les rende responsables de la catastrophe, les membres de l’administration Biden et d’autres fonctionnaires, ainsi que les patrons de Norfolk Southern, ont fait des heures supplémentaires pour avoir l’air de faire quelque chose d’utile tout en essayant de rejeter la faute sur quelqu’un d’autre. Après n’avoir rien dit pendant des jours, le secrétaire d’État aux transports Peter Buttigieg a finalement annoncé qu’« il allait bientôt présenter les améliorations spécifiques en matière de sécurité que les chemins de fer devraient appliquer immédiatement ». Il les a sévèrement critiqués pour avoir fait du lobbyisme contre des mesures « destinées à améliorer la sécurité ferroviaire et à assurer la sécurité des Américains », rapporte Reuters.
Eddie Hall, président de la Fraternité des mécaniciens de locomotives et agents de train a commenté les propositions de Buttigieg. Dans le cadre du système extrêmement rentable de Fonctionnement ferroviaire programmé avec précision, utilisé aujourd’hui par les patrons des chemins de fer, « ceux-ci ont réduit le nombre d’inspections approfondies des wagons et d’autres aspects du fonctionnement des trains, a-t-il expliqué. Ils ont aussi allongé les trains, qui peuvent être d’une longueur de 5 km, d’un bout à l’autre ».
« Nous avons eu la chance, cette fois, que dans ce train, il y avait trois membres d’équipage », a-t-il ajouté, dont un chef de train en formation. Les patrons du rail ont réduit les équipes d’opération des trains de quatre ou cinq à deux personnes. Ils font campagne pour les réduire à une seule. Jeremy Ferguson, président du syndicat ferroviaire SMART-TD, a dit à Peter Buttigieg : « Ce n’est pas le moment d’introduire plus de technologie, mais plutôt de se concentrer sur les changements fondamentaux nécessaires pour inverser la trajectoire dangereuse du fonctionnement des chemins de fer. »
« Oui, c’est un cas où l’accident aurait pu être évité », a dit au Militant Jakob Forsgren, soudeur et réparateur de voies qui travaille autour de Lincoln, au Nebraska. Il est président de la section locale 1320 de la Fraternité des préposés à l’entretien des voies. « Il aurait été possible de l’éviter en gardant suffisamment de personnel pour inspecter correctement ce train avant qu’il ne déraille. On aurait pu l’éviter en gardant suffisamment de personnel pour ne pas avoir besoin de trains d’une longueur de 2,4 km ou en ayant un serre-frein à l’arrière du train qui aurait pu voir le roulement à billes qui surchauffait. »
Que faire ?
La seule façon d’empêcher les catastrophes mortelles sur les chemins de fer est que les travailleurs, par le biais de leurs syndicats, contrôlent comment ils fonctionnent. C’est également le moyen de faire en sorte que les communautés traversées par les chemins de fer soient plus en sécurité.
Une déclaration de 2007 du Parti socialiste des travailleurs, « L’intendance de la nature incombe aussi à la classe ouvrière : en défense de la terre et du travail », explique : « Malgré les efforts de la classe des employeurs et du gouvernement, ainsi que des partis de la bourgeoisie […] pour nous persuader du contraire, la sécurité au travail et la protection des consommateurs et de l’environnement sont inextricablement liées l’une à l’autre. La lutte dans les mines, les usines, les champs et les autres lieux de travail pour protéger la vie et la santé de la classe ouvrière et de la population en général constitue le germe de luttes pour le contrôle ouvrier sur l’industrie et pour l’action politique ouvrière indépendante. »