SAN FRANCISCO — Quelque 475 agriculteurs, éleveurs et autres membres de l’Union nationale des fermiers (NFU) ont participé, du 5 au 7 mars, au congrès marquant le 121e anniversaire de leur organisation. La NFU regroupe des agriculteurs capitalistes, des agriculteurs moyens et de petits agriculteurs. Les présentations et les discussions ont démontré les conséquences de l’aggravation de la crise capitaliste actuelle et de la détérioration des conditions de vie et de travail dans les zones rurales.
Le congrès a mis en lumière la campagne de la NFU contre « les niveaux élevés de concentration des entreprises et les preuves de pratiques de concurrence déloyale », ainsi que la manière dont « les monopoles d’entreprises limitent les choix des agriculteurs et des éleveurs, les paient moins et exigent des frais plus élevés ».
Le document d’orientation politique a fait état d’une action en justice intentée contre les quatre plus grands transformateurs de viande bovine, qui contrôlent 80 % du marché, et dans laquelle on les accuse de s’être concertés pour adopter des pratiques d’achat visant à gonfler artificiellement les prix du bétail et de la viande bovine afin d’accroître leurs profits.
Le secrétaire de l’Agriculture, Tom Vilsack, a soutenu au cours de la réunion que les deux dernières années avaient été marquées par un « revenu agricole record » à l’échelle nationale, mais il a dû admettre que 50 % des agriculteurs ont obtenu un « revenu négatif » et que 40 % d’entre eux n’ont obtenu de surplus sur leurs dépenses qu’en travaillant hors de la ferme ou par d’autres sources.
Tom Vilsack et d’autres intervenants ont suggéré de recourir aux tribunaux, de s’appuyer sur les lois, les règlements, les programmes gouvernementaux, les partis et les politiciens capitalistes comme lui-même.
« Seuls 10 % des agriculteurs ont tiré un revenu de l’agriculture et de l’élevage ! Et cela après avoir soutenu pendant tant d’années les politiciens des partis démocrate et républicain et à compter sur eux », a souligné Joel Britton, membre du Parti socialiste des travailleurs, à ses interlocuteurs. Le SWP a participé au congrès pour rencontrer des petits agriculteurs et a distribué une déclaration de Ellie García émise le 21 février par la campagne nationale du SWP et intitulée « Construire une alliance des travailleurs et des agriculteurs ». Ellie García était la candidate du parti au Sénat pour la Californie en 2022.
« Pour aller de l’avant, a dit Joel Britton, les travailleurs, les cultivateurs et les éleveurs — qui sont tous des producteurs exploités — ont besoin d’une alliance de lutte contre la classe capitaliste, qui augmente ses profits en dressant les agriculteurs contre les travailleurs. Notre lutte en est une de classe contre classe. Après des décennies de lois agricoles au Congrès, ceux qui travaillent la terre n’ont obtenu aucune aide significative. En l’absence de lutte, les réformes n’ont pour effet que de nous rendre plus dépendants de notre ennemi de classe.
« Nous devons rompre avec les partis démocrate et républicain et chercher à construire un parti des travailleurs basé sur les syndicats, qui défendrait la cause des petits cultivateurs et des éleveurs, a dit Joel Britton. Un tel parti pourrait mener la lutte pour un gouvernement des travailleurs et des agriculteurs. »
L’endettement des agriculteurs a explosé, atteignant des niveaux inégalés depuis les années 80. « Il est difficile pour les petits agriculteurs d’être compétitifs », a dit au Militant Dave Berger, un éleveur à la retraite de Center au Dakota du Nord.
« Il devient impossible d’exploiter une ferme en raison du coût des pâturages, de l’électricité et du gaz. Si vous vous lancez pour la première fois, vous vous endetterez de centaines de milliers de dollars pour la terre, les tracteurs, le bétail, etc. »
Le géant de l’équipement agricole John Deere refuse de donner aux agriculteurs et aux mécaniciens indépendants l’accès aux informations dont ils ont besoin pour réparer leur matériel, ce qui oblige les agriculteurs à perdre du temps et à payer des prix exorbitants pour les réparations.
Dennis Kellogg, agriculteur du Michigan, a dit au Militant que lui et de nombreux autres agriculteurs « ont reporté l’achat de nouveaux équipements pour éviter la technologie informatique qui empêche les agriculteurs d’effectuer des réparations ».
Agriculture ou panneaux solaires
Lors d’une session de la conférence, un panel regroupant des représentants d’organismes « à but non lucratif » ont salué l’expansion de l’industrie de l’énergie solaire et ses promesses de réduire les émissions de carbone.
« Une étude de Princeton sur la carboneutralité montre qu’il est possible d’éliminer 100 % des émissions de carbone, mais qu’il faut pour cela 10,4 millions d’hectares de terres agricoles », a dit Anna Slager, de l’organisation Sauver la nature.
« Environ 83 % de ces terres proviendront de terres agricoles existantes, dont 50 % font partie des terres les plus productives », a ajouté Samantha Ley, du Trust américain sur les terres agricoles. Elle a admis que des agriculteurs sont évincés parce qu’ils ne peuvent pas payer le loyer exigé par les promoteurs des fermes solaires.
« On m’a proposé un contrat de 12 millions de dollars pour 35 ans. En 60 ans d’exploitation de ces terres, je n’ai jamais gagné 12 millions de dollars », a expliqué Dennis Kellogg au cours de la période de discussion. « Il s’agit de quelques-unes des meilleures terres agricoles du Michigan, d’une superficie d’un peu plus que 80 hectares. Cela me fait mal au cœur. Comment peuvent-ils payer autant pour utiliser mes terres ? »
Un autre sujet abordé au cours du congrès était le risque encouru par les éleveurs en raison des incendies et d’autres catastrophes susceptibles de ruiner les terres où ils font paître leurs troupeaux. « Les éleveurs améliorent les terres publiques sur lesquelles nous faisons paître nos troupeaux », a dit Charles Hibner, un éleveur du Nouveau-Mexique. « Les incendies sont bien pires lorsque nous ne faisons pas paître nos troupeaux, car nous limitons les incendies à des brûlages périodiques isolés qui sont propres et par conséquent qui ne deviennent pas trop chauds. »
De nombreuses discussions pendant le congrès ont reflété la crise croissante à laquelle sont confrontées les communautés rurales. La sécheresse affecte les éleveurs du Nouveau-Mexique, qui ont déclaré qu’ils n’avaient pas d’eau pour l’irrigation et qu’ils devaient faire venir l’eau pour leurs troupeaux par camion. Ils doivent donc s’adresser à des épiceries éloignées pour obtenir des aliments qu’ils pourraient cultiver eux-mêmes. Une déléguée du Minnesota a expliqué qu’il lui fallait trois heures de route pour se rendre chez un dentiste depuis son domicile.
D’autres ont évoqué les récentes fermetures de maternités dans les zones rurales et le besoin de ressources en matière de soins et d’éducation de la petite enfance.
La sécurité des agriculteurs et des communautés vivant le long des voies ferrées était au cœur des préoccupations des participants à la suite du déraillement et de la catastrophe sociale survenus à East Palestine, en Ohio. Nombreux sont ceux qui ont critiqué la compagnie ferroviaire Norfolk Southern.
Vern Jantzen, délégué du Nebraska et agriculteur, a trouvé des appuis pour ajouter deux points au document d’orientation de l’Union nationale des fermiers : « Tous les trains ou locomotives légères utilisés pour le transport de marchandises doivent fonctionner avec un équipage composé d’au moins deux personnes », et « il faut rendre obligatoire l’installation de capteurs de sécurité modernes sur les essieux des wagons ».
« Un service ferroviaire de qualité, fiable et sûr est dans l’intérêt des agriculteurs américains », a soutenu Dennis Kellogg au Militant. « Je ne savais pas que les cheminots n’avaient pas assez de congés », a-t-il dit, jusqu’à ce qu’il prenne connaissance de ces problèmes lors de la bataille contractuelle de l’année dernière. « Comment planifier à l’avance les maladies et les décès dans la famille ? »
« Nous devons lutter pour que les travailleurs contrôlent les opérations ferroviaires afin de garantir la sécurité des travailleurs et des personnes vivant à proximité des voies », a répondu Joel Britton à Dennis Kellogg. « Et nous devons soutenir les travailleurs et les agriculteurs d’Ukraine qui se battent pour vaincre l’invasion par Moscou. Kellogg a trouvé intéressante la description faite par Britton du combat du dirigeant bolchevique V. I. Lénine pour le droit des nations à l’autodétermination.
Le président de l’Union nationale des fermiers, Rob Larew, a annoncé que les membres de la NFU avaient donné 135 000 dollars au Programme alimentaire mondial des États-Unis pour aider les Ukrainiens depuis le début de l’assaut de Moscou.
Droits des immigrants, travailleurs agricoles
Julie Keown-Bomar, directrice exécutive du l’Union des fermiers du Wisconsin, a dit à Carole Lesnick, correspondante du Militant, que son organisation avait participé avec Voces de la Frontera à une marche pour les droits des immigrés au Wisconsin. Elle a signalé que de nombreux producteurs laitiers sont « totalement dépendants » des travailleurs immigrants. « L’exploitation des immigrés permet à certaines exploitations de se développer. Il est facile de s’en prendre aux immigrés. Je dis qu’il faut blâmer le système, pas eux. »
La classe capitaliste utilise l’immigration pour approfondir les divisions entre les producteurs exploités. Le Parti socialiste des travailleurs demande l’amnistie pour les travailleurs sans papiers, le soutien aux luttes des travailleurs agricoles contre les bas salaires et les mauvaises conditions de travail. Il soutient également leur combat pour construire un syndicat. Le seul avenir pour les agriculteurs est d’unir leurs forces à celles de la classe ouvrière et de construire une alliance travailleurs-agriculteurs.
Carole Lesnick s’est entretenue avec Julie Keown-Bomar sur la nécessité d’une solidarité entre les travailleurs et les agriculteurs. Cette dernière a indiqué qu’elle avait rédigé des articles d’opinion à l’intention des médias pour soutenir la grève des travailleurs de John Deere en 2021.
« Nous perdons deux exploitations laitières par jour au Wisconsin. Il n’y en a plus que 6 000 aujourd’hui et toujours le même nombre de vaches, ce qui montre que les plus grandes exploitations achètent les autres », a-t-elle expliqué. Carole Lesnick lui a montré une lettre de solidarité signée par des agriculteurs d’Amérique du Nord et envoyée à l’Association nationale des petits agriculteurs de Cuba (ANAP) à l’occasion du 63e anniversaire de la première réforme agraire de la révolution cubaine. Elle a expliqué qu’à ce jour, les agriculteurs cubains ne peuvent pas perdre leurs terres tant qu’ils les cultivent.
« Il y a différentes classes d’agriculteurs », a dit Jacob Perasso, correspondant du Militant, à Tommy Hexter, qui travaille pour l’Union des fermiers de l’Iowa. Je lui ai montré un exemplaire de New International no 4, dans lequel les dirigeants du Parti socialiste des travailleurs proposent un programme de défense des agriculteurs et des travailleurs agricoles exploités, fondé sur une alliance avec l’ensemble de la classe ouvrière. Hexter lui a répondu qu’il voulait en savoir plus sur ce programme et sur les coopératives agricoles de Cuba dont il était question dans ce numéro.
Certains agriculteurs s’intéressent aux questions politiques soulevées et débattues par le SWP, à la fois sur les problèmes auxquels sont confrontés les producteurs exploités et sur les grands changements politiques, sociaux et économiques aux États-Unis et dans le monde.
Tommy Hexter et Julie Keown-Bomar faisaient partie des nombreux participants à la conférence qui se sont procuré des exemplaires ou un abonnement au Militant, la revue New International no 4 et la version anglaise de Le creux de la résistance ouvrière est derrière nous : Le Parti socialiste des travailleurs regarde vers l’avant. Quelques agriculteurs et autres participants ont échangé des informations avec des membres du SWP pour que ces derniers leur rendent visite et poursuivent les discussions.