Les élections françaises reflètent l’impact de la crise qui frappe les travailleurs

Terry Evans
le 22 juillet 2024
Plus de 100 000 personnes ont défilé dans quelque 250 rassemblements à travers la France le 1er mai 2022, y compris à Toulouse, ci-dessus, pour exiger que le président Macron annule sa décision de hausser l’âge de la retraite des travailleurs. Les manifestants se sont appelés « gilets jaunes ».
ALAIN PITTON/NURPHOTO VIA APPlus de 100 000 personnes ont défilé dans quelque 250 rassemblements à travers la France le 1er mai 2022, y compris à Toulouse, ci-dessus, pour exiger que le président Macron annule sa décision de hausser l’âge de la retraite des travailleurs. Les manifestants se sont appelés « gilets jaunes ».

Les résultats définitifs des élections françaises ont porté un « coup inattendu » à « l’extrême droite », a affirmé le Washington Post le 7 juillet, en ajoutant que le résultat « était l’un des plus grands bouleversements politiques de l’histoire récente de la France ».

Comme la plupart des médias capitalistes, le même journal avait prédit une victoire sans précédent pour le Rassemblement National de Marine Le Pen, qu’il qualifiait d’« extrême droite ». Le parti de Marine Le Pen a obtenu une pluralité des voix au premier tour, tandis qu’un bloc de partis soutenant le président Emmanuel Macron est arrivé en troisième position, loin derrière.

En réalité, rien d’imprévu ne s’est produit. Après la défaite de Macron au premier tour, les partis de gauche du Nouveau Front populaire ont formé une alliance avec lui. Ils se sont entendus pour retirer leurs candidats pour quelque 200 sièges, dans le cas où ces candidats étaient arrivés en troisième position, afin de créer un bloc anti-Le Pen. Quelques jours avant le scrutin, le premier ministre de Macron, Gabriel Attal, a exhorté les citoyens à voter pour celui qui serait le plus à même d’empêcher une majorité du Rassemblement National.

Le Nouveau Front populaire comprend le Parti socialiste, le Parti communiste, les verts, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et de plus petits groupes d’extrême gauche. Ces forces ont peu en commun, si ce n’est un désir fervent de s’unir contre l’« extrême droite ». Elles ont remporté le plus grand nombre de sièges au second tour (182), mais sont encore loin des 289 nécessaires pour obtenir la majorité. Le parti Ensemble de Macron est arrivé en deuxième position avec 168 sièges et le Rassemblement national en troisième position avec 143 sièges, alors qu’il n’en détenait que 88 auparavant.

À 66 %, le taux de participation a été le plus élevé depuis 1997. Néanmoins, un tiers des électeurs français sont restés chez eux.

Considérée à travers le prisme de la politique capitaliste d’aujourd’hui, avec son univers de partis de gauche et de droite, la couverture médiatique de l’élection a largement ignoré la crise profonde à laquelle sont confrontés les travailleurs en France, ce qui est pourtant la seule véritable façon d’expliquer le vote.

Les partis au pouvoir ont considérablement reculé en France comme au Royaume-Uni, tout comme ce fut le cas l’année dernière aux Pays-Bas, où le premier ministre Mark Rutte en poste depuis 14 ans a été évincé, et lors des élections européennes de juin où les partis au pouvoir ont également été pénalisés. Ces votes reflètent le désir de dizaines de millions de travailleurs de se débarrasser des partis qui sont au pouvoir depuis des années alors que les travailleurs sont confrontés à des hausses de prix ruineuses, à des réglementations étouffantes imposées au nom du « changement climatique », à une incertitude croissante quant à l’avenir et à des menaces grandissantes de nouveaux conflits armés et d’une troisième guerre mondiale.

Mais les seuls choix proposés étaient des partis capitalistes de différentes couleurs. De nouveaux gouvernements sont ainsi formés, qui garantissent le maintien de la domination des familles capitalistes au pouvoir et la poursuite des attaques des patrons contre les travailleurs et les agriculteurs.

La crise à laquelle les travailleurs sont confrontés n’est pas le produit des affrontements entre la gauche et la droite de la politique capitaliste. Elle est le fruit de l’exploitation capitaliste et des guerres. La seule réponse est la voie de la classe ouvrière : construire et renforcer les syndicats, promouvoir la solidarité ouvrière et, surtout, rompre avec tous les partis des patrons et construire un parti ouvrier. Ce parti organiserait des dizaines de millions de travailleurs afin qu’ils luttent pour défendre leurs intérêts de classe et qu’ils prennent le pouvoir politique entre leurs mains.

Les dirigeants capitalistes rivaux en Europe et dans le monde sont engagés dans une lutte acharnée les uns contre les autres pour les marchés et pour défendre leurs intérêts dans un contexte d’instabilité croissante dans le monde impérialiste. La seule façon pour les dirigeants de consolider leurs profits est d’intensifier leurs efforts pour que ce soit les travailleurs qui paient. De telles attaques poussent les travailleurs à chercher une voie pour résister.

Suite à l’invasion de l’Ukraine par Moscou, chacune des classes dirigeantes rivales du continent a été poussée à transformer ses forces militaires décrépites et à chercher de nouvelles alliances. Malgré les récentes augmentations des dépenses militaires, la taille des forces armées des principales puissances impérialistes européennes — la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni — continue de diminuer.

La crise frappe les travailleurs en France

L’année dernière, le taux d’inflation officiel en France a atteint son plus haut niveau depuis 40 ans et les salaires réels ont chuté de 7,6 % en 2022. Entre deux et quatre millions de personnes dépendent aujourd’hui de l’aide alimentaire. Comme partout ailleurs dans le monde impérialiste, il est plus difficile pour les travailleurs de fonder une famille. Le taux de natalité en France en 2023 était inférieur de près de 20 % à celui de 2010.

Rien de tout cela n’a dissuadé Emmanuel Macron d’imposer l’augmentation de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans l’année dernière. En réponse, les fédérations syndicales françaises ont organisé des arrêts de travail d’une journée et des manifestations, auxquelles se sont jointes des centaines de milliers de personnes.

Dans ces conditions, le Rassemblement national de Marine Le Pen a attiré des voix dans l’ensemble du pays, y compris dans les zones rurales où des services essentiels — écoles, gares et bureaux de poste — ont fermé et où il est de plus en plus difficile d’obtenir des soins médicaux.

À partir de la fin de l’année 2018, des dizaines de milliers de travailleurs des zones rurales et des villes sont descendus dans la rue pendant des mois, irrités par le mépris que leur témoignait le gouvernement de Macron et ses efforts pour protéger la position et les profits des dirigeants capitalistes du pays. Les « gilets jaunes », comme on les appelait, manifestaient contre l’imposition d’une nouvelle taxe sur les carburants et les attaques gouvernementales plus générales contre le niveau de vie.

Marine Le Pen a transformé le Rassemblement national, issu de l’ultra-droite française, en un parti parlementaire luttant pour gagner les élections contre ses rivaux capitalistes.

Le vote record en faveur du Rassemblement national ne signifie en rien un glissement des travailleurs vers l’extrême droite. Les affirmations des libéraux et des groupes de gauche de la classe moyenne selon lesquelles le Rassemblement national est « fasciste » sont à la fois fausses et dangereuses. Tout comme le sont les affirmations similaires concernant l’ancien président Donald Trump aux États-Unis.

L’histoire montre que les organisations fascistes peuvent se développer de manière significative, lorsque des secteurs de la classe dirigeante craignant que leur pouvoir soit menacé par la montée des luttes révolutionnaires, font appel à ces organisations. Les voyous fascistes sont alors financés et lancés contre le mouvement ouvrier en utilisant les Juifs, les communistes et d’autres militants comme boucs émissaires. Mais cela ne se produit aujourd’hui dans aucun pays impérialiste.

Les termes « fasciste » ou « extrême droite » sont utilisés par les libéraux et la gauche comme épithètes pour désigner les partis conservateurs. Ils incitent à la collaboration avec des partis capitalistes « non fascistes », comme celui de Macron, afin d’empêcher les travailleurs de compter sur eux-mêmes et de s’organiser indépendamment des partis des patrons.

La domination de la classe capitaliste est la source des problèmes auxquels les travailleurs sont confrontés. Pour unir les travailleurs, il est essentiel de lutter contre la montée actuelle de la haine des Juifs, y compris les attaques croissantes contre les Juifs en France. Les principaux protagonistes aujourd’hui ne sont pas des bandes fascistes, mais les partisans du pogrom sanglant perpétré par le Hamas le 7 octobre contre les Juifs d’Israël.

Ce cours antiouvrier est illustré par Mélenchon. La France insoumise a qualifié le pogrom du 7 octobre du Hamas d’« offensive armée des forces palestiniennes » causée par la « politique d’occupation d’Israël à Gaza », plutôt que d’un massacre de Juifs, comme ce fut le cas. Mélenchon affirme que la guerre menée par Israël pour empêcher d’autres pogroms est un « génocide ».

Les travailleurs du monde entier savent que notre classe est aujourd’hui confrontée à une crise. Pour aller de l’avant, il nous faut acquérir de l’expérience dans la lutte des classes, développer une conscience ouvrière et étudier les grandes révolutions du 20e siècle menées par Lénine et les bolcheviks en Russie et par Fidel Castro à Cuba.

Quel que soit le gouvernement issu des négociations entre le Nouveau Front populaire et les autres forces capitalistes, les travailleurs de France — comme ceux des États-Unis et d’ailleurs — sont confrontés à un défi majeur : la nécessité de créer leur propre parti des travailleurs.