MONTRÉAL – Le 24 août, alors qu’une grande partie du transport des marchandises par train et des trains de banlieue du Canada était paralysée à la suite de trois jours de lock-out par les compagnies et de débrayages par les syndicats, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a ordonné à quelque 10 000 mécaniciens de locomotive, chefs de train et répartiteurs, membres du syndicat des Teamsters, de reprendre le travail et leur a imposé un arbitrage exécutoire. Cette décision a enlevé aux cheminots leur droit démocratique de négocier les termes d’un nouveau contrat et de faire la grève. Le Conseil leur a ordonné de reprendre le travail au plus tard le 26 août.
Les contrats existants, qui ont expiré en décembre dernier et en vertu desquels les conditions de travail sont devenues de plus en plus dangereuses et invivables, restent en vigueur. Ce qui est au cœur du conflit, c’est la lutte contre l’offensive des patrons du rail pour accroître leurs profits en exigeant des concessions, qui se traduiraient par un plus grand nombre de morts et de blessés au travail et, inévitablement, par d’autres désastres comme la catastrophe du train rempli de pétrole qui est parti à la dérive et qui a tué 47 personnes à Lac-Mégantic, au Québec en 2013.
Paul Boucher, président de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, le syndicat qui représente les travailleurs des deux compagnies ferroviaires transcanadiennes, le Canadien National (CN) et le Canadien Pacifique Kansas City (CPKC), a condamné la décision en expliquant qu’elle crée un « dangereux précédent ». « Dorénavant, a-t-il dit, les grandes entreprises n’ont qu’à arrêter leurs activités pendant quelques heures, infliger des dommages économiques à court terme et le gouvernement interviendra pour casser un syndicat.
« Les Teamsters se sont battus pour protéger la sécurité ferroviaire au Canada, améliorer les conditions de travail et empêcher le CN de forcer les travailleurs à déménager à des milliers de kilomètres de leur famille, et nous continuerons de le faire. »
Le ministre canadien du Travail, Steven MacKinnon, a ordonné au CCRI de mettre fin au débrayage moins de 17 heures après son début, le 22 août, et d’imposer une convention collective par le biais d’un arbitrage exécutoire. C’est exactement ce que les patrons du rail avaient demandé depuis le début. Les membres du Conseil des relations de travail sont nommés par le gouvernement.
Après l’annonce de MacKinnon, le syndicat a déclaré que la grève contre le CPKC se poursuivrait et a émis un avis de 72 heures pour entreprendre une grève au CN qui devait commencer le 26 août. Les deux entreprises avaient mis les travailleurs en lock-out. Cependant, à la suite de la décision du Conseil des relations industrielles, les représentants du syndicat ont annoncé qu’ils se conformeraient, tout en appelant de cette décision devant un tribunal fédéral, sur la base du droit des travailleurs à la grève.
Lors d’un rassemblement animé devant le siège social du CPKC à Calgary le matin précédant la décision du Conseil des relations industrielles, le président national de Teamsters Canada, François Laporte, a insisté sur le fait que les travailleurs « ont un droit constitutionnel » de faire la grève. Sean O’Brien, président international des Teamsters, a également pris la parole pour dénoncer l’attaque antisyndicale d’Ottawa.
Dustin Saunders, un mécanicien de locomotive au CN depuis 19 ans et président local de la division des mécaniciens de locomotive à Vancouver, a dit au Militant que « le CN et le CPKC se sont entendus pour que le gouvernement nous impose une loi de retour au travail et un arbitrage obligatoire tout en présentant des propositions de concessions qui sont inacceptables ».
« La décision du Conseil des relations industrielles, rendue au nom du gouvernement antisyndical de Trudeau, est une attaque contre le droit des syndicats de négocier les salaires et les conditions de travail et de faire la grève pour les défendre et les améliorer contre les assauts des patrons et du gouvernement », a souligné, au Militant, Philippe Tessier, chef de train au CN et capitaine de piquetage des Teamsters.
« Notre syndicat a rapidement obtenu un large soutien de la part de syndicats de tout le Canada ainsi que des États-Unis et du Royaume-Uni, qui comprennent l’importance de notre lutte pour la sécurité ferroviaire, des horaires de travail décents et la défense des droits fondamentaux des syndicats et de la classe ouvrière. »
Vaste solidarité avec la lutte des travailleurs du rail
Les Teamsters ont reçu des messages de solidarité et d’appui de la part de la Fraternité des mécaniciens de locomotives et agents de train des États-Unis, du Syndicat international des débardeurs et magasiniers, d’Unifor, de la Confédération des syndicats nationaux, de la Division du Québec de l’Alliance de la fonction publique du Canada, de la Fédération du travail de la Colombie-Britannique, de SMART-TD, le plus grand syndicat du rail aux États-Unis, y compris de sections locales qui représentent les travailleurs de l’Ohio, de la Pennsylvanie et de l’Illinois ; de la section de Manchester, au Royaume-Uni, de l’Association des mécaniciens de locomotives et des pompiers.
Lana Payne, présidente nationale du syndicat Unifor, a déclaré publiquement son soutien aux cheminots avant l’annonce de la décision du CCRI : « Les travailleurs sont de plus en plus frustrés par l’augmentation du coût de la vie, les inégalités économiques et le manque de sécurité sur le lieu de travail. » Les sociétés de chemin de fer « ont publiquement fait campagne contre des négociations collectives justes et libres et contre le droit constitutionnel de grève des travailleurs ».
Lorsque le ministre du Travail a annoncé l’action du gouvernement contre la grève, les journalistes ont demandé ce qui avait changé depuis qu’il avait annoncé, quelques jours plus tôt, qu’Ottawa avait rejeté la demande des compagnies ferroviaires d’imposer l’arbitrage obligatoire.
Steven MacKinnon a déclaré que l’impact économique du débrayage « ne peut être sous-estimé ». L’action du gouvernement était nécessaire, selon lui, pour « assurer la paix industrielle » et protéger la réputation du capitalisme canadien en tant que partenaire commercial fiable.
Les organisations commerciales de tout le pays avaient réclamé l’intervention du gouvernement pour mettre fin au débrayage. Les chemins de fer canadiens transportent quotidiennement des marchandises d’une valeur d’un milliard de dollars canadiens (735 millions de dollars américains), dont la moitié des exportations du pays.
« Les conflits de travail qui s’étendent de l’Amérique du Nord à l’Inde menacent d’entraîner une nouvelle vague de perturbations dans les chaînes d’approvisionnement américaines après que les cheminots canadiens ont cessé le travail jeudi, a écrit le Financial Times. Les transporteurs de marchandises nous avertissent que l’arrêt de travail des deux plus grandes compagnies ferroviaires du Canada pourrait être suivi dans les semaines à venir d’une grève dans les ports de la côte Est des États-Unis, laissant les ports de la côte Ouest débordés. »
Dans ces circonstances, Steven MacKinnon a déclaré que le gouvernement avait décidé d’utiliser ses pouvoirs pour « contourner le processus de négociation collective ». Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a dénoncé l’action du gouvernement comme étant « contre les travailleurs ». L’opposition conservatrice est restée silencieuse.
« Personne ne devrait être surpris par la dernière attaque du gouvernement libéral Trudeau contre les droits fondamentaux des travailleurs et de nos syndicats », a dit au Militant Katy LeRougetel, candidate de la Ligue communiste à l’élection partielle fédérale du 16 septembre dans Lasalle- Émard-Verdun.
« En février 2022, le gouvernement canadien a invoqué une loi draconienne, la Loi sur les mesures d’urgence, pour s’attaquer aux camionneurs qui protestaient contre les obligations de vaccination menaçant leurs emplois. Dans l’un des plus grands gestes de répression gouvernementale de l’histoire du Canada, Ottawa a alors déployé plus de 3 000 policiers lourdement armés, a arrêté de nombreux dirigeants et participants à la manifestation et porté contre eux des accusations criminelles fabriquées. En avril 2021, le gouvernement canadien a ordonné aux débardeurs en grève dans le port de Montréal de reprendre le travail et leur a imposé un arbitrage obligatoire. « Quelles que soient leurs différences, tous les partis politiques à Ottawa et dans les provinces défendent les intérêts de classe des patrons et non ceux des travailleurs qui créent toute la richesse de la société », a ajouté Katy LeRougetel, travailleuse syndiquée dans une boulangerie industrielle.
« La leçon la plus importante de cette grande bataille de classe est que les travailleurs ont besoin d’un parti qui leur soit propre, un parti ouvrier de masse basé sur les syndicats pour mobiliser la solidarité des travailleurs dans les rues et sur les piquets de grève, pour défendre les droits des travailleurs en lutte comme les cheminots, sur la voie pour remplacer le gouvernement des riches au pouvoir par un gouvernement ouvrier.
« La lutte des cheminots pour la sécurité ferroviaire et la défense des droits syndicaux se poursuivra. Ils auront besoin de la solidarité du mouvement syndical et des travailleurs du monde entier. »