Le renversement de la dictature sanguinaire de Bachar al-Assad et de son père, une dictature qui a duré 50 ans, est une conséquence de l’impact mondial de la résistance au pogrom antijuif du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 et à l’invasion de l’Ukraine par Moscou.
À l’instar de ces deux points tournants décisifs dans la politique mondiale, la chute du régime d’Assad, soutenu par Téhéran et Moscou, accélère la crise de l’« ordre mondial » dirigé par les États-Unis et les changements d’alliances et de rivalités entre les forces bourgeoises concurrentes dans la région. Il entraîne également des millions de travailleurs vers la politique et leur offre la possibilité de marquer de leur empreinte le chemin à parcourir.
La Syrie était un élément clé de l’« axe de résistance » de Téhéran et la principale voie d’acheminement des armes envoyées au Hezbollah au Liban. Malgré ce nouveau coup dur, le régime iranien continue à développer des armes nucléaires et à chercher à renforcer son influence réactionnaire au Moyen-Orient.
Des milliers de personnes se sont précipitées dans les rues de Damas après la fuite d’Assad le 8 décembre, pour célébrer son renversement. Bien que de nombreux travailleurs se méfient des groupes islamistes, ils sont heureux de pouvoir enfin s’affranchir du joug d’Assad.
Assad s’était accroché au pouvoir après que les travailleurs eurent participé à des manifestations de masse en 2011 et que des opposants bourgeois armés eurent pris le contrôle de vastes pans du territoire syrien, menaçant ainsi son pouvoir. Il a pu survivre et reprendre le contrôle d’une grande partie du pays uniquement grâce à la puissance aérienne de Moscou, à des milliards de dollars d’aide militaire, à des conseillers de Téhéran et à des milliers d’hommes de main du Hezbollah.
Mais la haine du régime et le soutien à l’opposition n’ont cessé de croître, même au sein de la minorité alaouite de Syrie, une ramification de l’islam chiite, à laquelle appartiennent Assad et la plupart des officiers de l’armée. Lorsque le soulèvement a commencé à Alep, l’armée d’Assad s’est effondrée.
Les travailleurs ont payé le prix fort
Les travailleurs syriens ont payé un lourd tribut à la guerre civile : plus de 306 000 civils ont été tués et 12 millions ont été « déplacés à l’intérieur du pays » ou se sont réfugiés en Turquie, au Liban et dans d’autres pays. Des milliers de personnes ont déjà commencé à rentrer chez elles.
La plupart des opposants armés d’Assad se sont retirés dans la province d’Idlib, au nord-ouest, près de la Turquie, où ils ont mis en place leur propre gouvernement. Ils ont développé des relations avec l’Armée nationale syrienne créée par la Turquie.
Mais au cours des deux dernières années, Moscou a retiré de Syrie une grande partie de ses troupes, de ses avions et de ses équipements militaires afin de remplacer les pertes massives subies dans sa guerre contre l’Ukraine. Le régime de Poutine espère toujours que les rebelles lui permettront de conserver son aérodrome dans la province de Lattaquié et sa base navale de Tartous, la seule installation navale russe en Méditerranée.
De manière plus décisive, la chute d’Assad est le « résultat direct des coups durs que nous avons portés au Hamas, au Hezbollah et à l’Iran », a dit le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou le 9 décembre. « Nous sommes en train de transformer le visage du Moyen-Orient. »
Ouvrir les portes de la prison d’Assad
Le régime bestial et corrompu d’Assad s’est effondré quelques jours après le début de l’offensive rebelle soutenue par la Turquie.
Au fur et à mesure de leur avancée, les rebelles ont ouvert les portes des prisons, ville après ville. Rien qu’à la célèbre prison de Sednaya, au nord de Damas, des milliers de prisonniers maigres et pâles, de toutes tendances politiques, ont été libérés. Parmi eux se trouvaient des hommes, des femmes et même des enfants. Pas moins de 13 000 opposants au régime y ont été assassinés entre 2011 et 2015. Des milliers d’autres ont été sauvagement torturés.
« Un homme m’a dit qu’il ne savait pas où aller », a dit un combattant rebelle au Financial Times. « La prison est sa maison depuis 30 ans et il ne se souvient pas de l’endroit où vit sa famille. »
Hayat Tahrir al-Cham est le plus important des groupes islamistes sunnites de la coalition de factions bourgeoises qui a renversé Assad. Son chef, Ahmad al-Sharaa, est né en Arabie saoudite de parents syriens et a grandi à Damas.
Il a rompu avec Al-Qaïda en 2016 et a présenté son organisation comme non sectaire. Cela reste à voir. Il affirme ne pas vouloir de conflit avec Washington.
« La Syrie mérite un système de gouvernement institutionnel, et non un système où un seul dirigeant prend des décisions arbitraires », a déclaré al-Sharaa à CNN.
Tahrir al-Cham a annoncé que les soldats enrôlés dans l’armée syrienne seraient amnistiés, mais pas le corps des officiers ni les responsables de meurtres et de tortures.
Au fur et à mesure de leur avancée, les forces dirigées par Tahrir al-Cham ont tenté d’apaiser les craintes des druzes, des alaouites et des chrétiens. Un opposant de longue date à Assad dans la région de Lattaquié a déclaré au Financial Times que les rebelles « connaissent tous les cheikhs alaouites et qu’ils ont parlé à chacun d’entre eux ».
Les forces turques attaquent les Kurdes
Pendant que les forces rebelles consolidaient leurs gains, l’Armée nationale syrienne, soutenue par les frappes aériennes des dirigeants turcs, a attaqué et repris Manbij, qui était sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes dirigées par les Kurdes depuis 2016, lorsqu’elles y ont vaincu l’État islamique.
Quelque 30 millions de Kurdes en Irak, en Iran, en Syrie et en Turquie constituent la plus grande nation du monde sans pays propre. Le gouvernement turc craint que toute avancée des Kurdes en Syrie n’alimente les luttes des Kurdes de Turquie qui se battent pour leurs droits nationaux.
Les forces kurdes, qui avaient profité de la précédente guerre contre Assad pour former une région autonome dans le nord, ont joué un rôle clé dans l’alliance avec Washington pour vaincre l’État islamique. Quelque 900 soldats américains sont encore basés dans la région kurde et dans les zones frontalières proches de l’Irak, où est produite la majeure partie du pétrole du pays.
Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a affirmé que « l’Amérique et le régime sioniste » étaient ceux qui avaient orchestré la chute d’Assad, tout en se plaignant du rôle d’Ankara, l’ancien allié de Téhéran. En réalité, Téhéran, comme le Hezbollah, est largement détesté par les Syriens pour son soutien à la dictature d’Assad.
Après la fuite d’Assad, des Syriens en colère ont saccagé l’ambassade d’Iran. Selon Al Jazeera, Téhéran a évacué 4 000 citoyens iraniens de Syrie.
Néanmoins, Khamenei a déclaré : « L’Iran et la Syrie ont une longue histoire et nous espérons que nos relations amicales se poursuivront. »
L’« axe de résistance » de l’Iran est considérablement affaibli. Mais le Wall Street Journal a rapporté que l’Iran dispose désormais de suffisamment de matières fissiles pour fabriquer plus d’une douzaine d’armes nucléaires s’il le décide. Nétanyahou a affirmé qu’Israël ferait tout ce qui est en son pouvoir pour l’en empêcher.
Israël défend ses frontières
Le gouvernement israélien a immédiatement agi pour défendre les frontières d’Israël.
Bien que Damas ait été le seul autre gouvernement à faire partie de l’« axe de la résistance » de Téhéran, Bachar al-Assad a pris soin de ne pas attaquer directement Israël. Sous son règne, les gouvernements syrien et israélien ont respecté un accord de 1974 visant à maintenir une « zone tampon » de 80 km de long entre le plateau du Golan, contrôlé par Israël, et la Syrie.
Si Tahrir al-Cham a peu parlé de ses intentions à l’égard d’Israël et des Juifs, le gouvernement israélien ne prend aucun risque, compte tenu du passé antijuif de nombreux courants islamistes de sa coalition.
Les troupes israéliennes ont pénétré dans la zone frontalière et ont pris le contrôle des avant-postes syriens après la fuite des troupes d’Assad et l’effondrement du régime.
« Nous n’avons pas l’intention de nous immiscer dans les affaires intérieures de la Syrie, mais nous avons clairement l’intention de faire ce qui est nécessaire pour assurer notre sécurité, a dit Nétanyahou. Nous voulons des relations avec le régime », mais nous ne tolérerons pas que Téhéran utilise à nouveau la Syrie pour transférer des armes au Hezbollah ou attaquer Israël.
Alors que les troupes israéliennes s’installaient dans la zone tampon, l’armée de l’air israélienne a frappé plus de 320 cibles de l’armée de l’ancien régime dans toute la Syrie, notamment des avions, des bases souterraines, des sites d’armes chimiques, des dépôts d’armes et des installations de production, des sites de missiles, des radars et des chars d’assaut. Elle a démoli la marine syrienne.
Washington réagit
Le gouvernement des États-Unis a clairement voulu démontrer que l’impérialisme américain est une force importante avec laquelle il faut encore compter, en ordonnant que soient utilisés des bombardiers B-52 et d’autres avions pour frapper plus de 75 cibles de l’État islamique dans le centre de la Syrie le 8 décembre. Washington aurait convaincu le gouvernement turc d’accepter un cessez-le-feu tandis que les forces kurdes se retiraient de Manbij.
Les coups portés à Téhéran, au Hezbollah et à Assad renforcent également la position d’Israël à Gaza. Le Hamas aurait renoncé à exiger qu’Israël retire toutes ses troupes de Gaza avant d’accepter un cessez-le-feu et la libération d’un plus grand nombre d’otages pris le 7 octobre.
Lors d’une interview accordée le 8 décembre à la chaîne NBC, le président élu Donald Trump a réaffirmé qu’il souhaitait voir la guerre à Gaza prendre fin. « Je veux que [Nétanyahou] y mette fin, a-t-il affirmé. Mais il faut que la victoire soit au rendez-vous. »
Donald Trump a également répondu aux critiques formulées à l’encontre d’Israël par des démocrates libéraux et par certaines forces qui nient la réalité du pogrom qui s’est produit le 7 octobre.
« Vous savez, il y a des négationnistes de l’Holocauste. Maintenant, il y a les négationnistes du 7 octobre, a-t-il affirmé. Non, le 7 octobre a eu lieu. Ce qui s’est passé est horrible. »
Les médias bourgeois ont concentré leur attention sur les rivalités et les changements d’alliances. Mais ils sont passés largement à côté de l’évolution la plus importante, à savoir la confiance croissante des travailleurs, qui profitent de l’espace qui s’ouvre pour lutter dans leurs intérêts, ouvrant ainsi la voie à des luttes communes et, à terme, à la construction de partis révolutionnaires de la classe ouvrière.
On a pu le constater lors des célébrations qui ont eu lieu dans toute la Syrie après la chute d’Assad et dans les milliers de personnes qui se sont rendues dans les prisons à la recherche d’un signe indiquant que des parents ou des amis étaient encore en vie.
Des forces similaires sont à l’œuvre en Iran, où des milliers de travailleurs du secteur pétrolier ont menacé de se mettre en grève si leurs demandes pour de meilleurs salaires et conditions de travail face à la hausse des prix n’étaient pas satisfaites, et où les camionneurs prévoient une grève nationale le 16 décembre.
Lors d’une manifestation de travailleurs retraités à Kermanshah le 8 décembre, l’un des slogans était : « Nous ne voulons ni guerre ni massacre ; nous voulons un bien-être durable. »