Les travailleurs ukrainiens affrontent l’invasion de Moscou et les attaques des patrons chez eux

Seth Galinsky
le 30 mai 2022
Le 3 mai à Lviv, des cheminots chargent un wagon de nourriture, de médicaments et d’autres fournitures pour les membres du syndicat, les collègues de travail et les combattants ukrainiens, dans les zones les plus durement touchées par l’invasion de Moscou
SYNDICAT LIBRE DES CHEMINOTS ET DES CONSTRUCTEURS DE TRANSPORT D’UKRAINELe 3 mai à Lviv, des cheminots chargent un wagon de nourriture, de médicaments et d’autres fournitures pour les membres du syndicat, les collègues de travail et les combattants ukrainiens, dans les zones les plus durement touchées par l’invasion de Moscou

Les travailleurs et leurs syndicats en Ukraine participent à la lutte pour vaincre l’invasion de leur pays par Moscou tout en résistant aux attaques contre les emplois, les salaires et les conditions de travail par des patrons soutenus par le gouvernement du président Volodymyr Zelensky.

Les travailleurs ont été à l’avant-garde de la résistance à l’invasion russe soit en manifestant dans des villes occupées comme Kherson, soit en s’enrôlant comme combattants dans l’armée ukrainienne et les forces de défense territoriale.

« Au moins 15 % des mineurs se sont portés volontaires pour se joindre à l’armée », a dit Mikhailo Volynets, président de la Confédération des syndicats libres d’Ukraine, au Militant  par téléphone depuis Kyiv le 2 mai. À la mine de charbon de Pavlograd, située dans la région de Donbas et appartenant au milliardaire Rinat Akhmetov, 800 des 4 000 travailleurs sont présentement dans l’armée en lutte contre l’invasion.

« La guerre a détruit une grande partie de l’infrastructure économique et sociale de l’Ukraine, a expliqué Mikhailo Volynets. Les lignes ferroviaires, les communications et les ponts ont été détruits par les forces russes. Il y a une inflation croissante. » Le produit national brut a chuté de 50 %, dit-il, et des millions de personnes ont perdu leur emploi.

Bien que la résistance acharnée des travailleurs ait repoussé les troupes de Moscou hors de grandes parties du pays, les forces de Poutine ont doublé la zone qu’elles contrôlent depuis l’invasion, en particulier dans certaines parties du sud de l’Ukraine.

Les travailleurs luttent sur deux fronts

Lors d’une conférence de solidarité à Lviv les 5 et 6 mai, Oleksandr Skyba, cheminot de Kyiv et membre du Syndicat libre des cheminots et des constructeurs de transport, a décrit le travail que son syndicat a accompli.

Les lignes ferroviaires et les dépôts sont bombardés alors que Moscou tente de perturber le mouvement des armes et des troupes ukrainiennes. Les envahisseurs ont tué de nombreux cheminots. Néanmoins, les travailleurs continuent d’acheminer du ravitaillement aux troupes de la ligne de front, aux villes les plus durement touchées et aux zones contestées, ainsi que de transporter les personnes déplacées par la guerre, a rapporté Oleksandr Skyba.

Yurii Samoilov, un dirigeant du syndicat des mineurs s’est adressé à la conférence via Zoom depuis Kryvyi Rih. Il a décrit les efforts déployés dans cette région. Il a noté que les syndicats ont été écrasés dans les « républiques populaires » de Donetsk et de Luhansk, contrôlées par Moscou dans l’est de l’Ukraine. Les travailleurs de la santé y ont été contraints d’adhérer aux syndicats contrôlés par l’État russe et de subir de sérieuses réductions de salaire.

Pavel Oleshchuk, porte-parole du Syndicat des travailleurs de l’industrie nucléaire, a informé l’assemblée que la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, la plus grande d’Europe, et la ville voisine d’Enerhodar sont toujours sous occupation russe.

L’Ukraine possède trois mines d’uranium et une installation de traitement. Aujourd’hui, les mines sont fermées. Mais pour éviter qu’elles ne soient inondées, il faut continuellement pomper l’eau. Début mai, selon Pavel Oleshchuk, les travailleurs des mines n’avaient reçu qu’une partie de ce qu’on leur doit pour le mois de mars.

La loi martiale et les couvre-feux imposés par Volodymyr Zelensky, y compris l’interdiction de certaines réunions et manifestations, ont accru les défis.

L’organisation de jeunesse de l’un des syndicats des travailleurs de l’industrie nucléaire de Tchernobyl, dans une déclaration publiée le 1er mai, a indiqué que les articles de la loi martiale qui suspendent les conventions collectives ont « eu un effet important et négatif sur la situation financière et la qualité de vie » des travailleurs. Les conditions de travail se sont détériorées pendant que les salaires baissaient. « Nous sommes contre toute violation et toute restriction des droits des travailleurs ! » a-t-elle ajouté.

Le 12 mai, le Parlement a adopté un nouveau projet de loi sur les relations de travail qui permet aux patrons de réaffecter plus facilement les travailleurs et de congédier ceux qui ne peuvent pas se rendre au travail en raison de l’invasion par Moscou.

Dans une déclaration publiée ce jour-là, Mikhailo Volynets a indiqué que les auteurs de la loi cherchent « à plaire aux employeurs en limitant considérablement les droits des travailleurs ».

Selon la loi, les travailleurs congédiés et ceux qui ont été déplacés par la guerre « ont droit à des prestations sociales, a dit Mikhailo Volynets au Militant. Toutefois, en raison des grandes dépenses imposées par la guerre, il faut maintenant plus de temps pour obtenir ses prestations. Certains employeurs agissent comme de vrais capitalistes. Même en temps de guerre, ils veulent non seulement faire des profits, mais ls veulent aussi les accroître. C’est pourquoi il faut un syndicat fort. »

Les syndicats découvrent des moyens pour se défendre.

Quelque 2 700 travailleurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl s’assurent de bien surveiller le site de la catastrophe radioactive pour éviter d’autres fuites. Ils accomplissent d’autres tâches connexes et réparent les dégâts considérables causés par les troupes de Moscou, qui l’ont occupé pendant plus d’un mois.

Après que les forces russes ont été chassées du site et de Slavoutitch, la ville voisine où vivent la plupart des travailleurs, les patrons de l’usine ont annoncé que, comme l’autorise la loi martiale, ils avaient licencié les 314 travailleurs qui n’étaient pas venus travailler.

Le syndicat a proposé que 160 des travailleurs qui vivent à Chernihiv, à proximité, et qui ne pouvaient pas se déplacer à cause des effets de la guerre demeurent employés. Le syndicat a suggéré qu’ils participent à la reconstruction et au nettoyage de Chernihiv, durement frappé par les bombardements des forces de Moscou. Les patrons ont accepté.

Solidarité des syndicats biélorusses

Les syndicats en Ukraine ont obtenu la solidarité des syndicats en Biélorussie. La Biélorussie est dirigée par un régime dictatorial étroitement allié à Moscou. Des syndicalistes du rail de cette région se sont organisés pour perturber le mouvement des troupes et du matériel russes vers l’Ukraine. Au moins 14 dirigeants du mouvement syndical indépendant en Biélorussie ont été arrêtés pour s’être opposés à l’invasion.

« Nous sommes reconnaissants envers nos frères et sœurs biélorusses, courageux et fidèles à leurs principes », a déclaré la Confédération des syndicats libres d’Ukraine en exigeant leur libération immédiate.