Malgré la mort de plus de 400 manifestants et l’arrestation de milliers de personnes, le régime clérical bourgeois d’Iran n’a pas réussi à empêcher les travailleurs et les jeunes de se joindre aux manifestations et aux grèves qui ont balayé le pays depuis la mort de Mahsa Amini le 16 septembre.
La jeune femme kurde est morte trois jours après avoir été arrêtée par la police des « moeurs » pour avoir soi-disant violé le code vestimentaire réactionnaire.
Le régime a envoyé des convois de bandits du Corps des gardiens de la révolution islamique et des bassidji pour attaquer les manifestants dans la région kurde du nord-ouest, provoquant encore plus de protestations dans le pays. Le régime a également envoyé des unités lourdement armées des Gardiens de la révolution à la frontière irakienne, où elles ont lancé des attaques de drones et de missiles contre les groupes irano-kurdes au Kurdistan irakien, dont le régime prétend à tort qu’ils fomentent les protestations.
« Nous exigeons le retrait immédiat de toutes les forces armées oppressives du Kurdistan et de toutes les villes kurdes et nous exigeons la libération inconditionnelle de tous les prisonniers », ainsi que la fin de toutes les attaques contre la région kurde d’Irak, a déclaré le Syndicat des travailleurs de la canne à sucre de Haft Tappeh dans un communiqué le 25 novembre. « Les travailleurs du Kurdistan sont nos frères et sœurs. »
Les 20 et 21 novembre, plus de 200 religieux sunnites, qui font partie des institutions religieuses reconnues par le gouvernement dans la région kurde de l’Iran, ont lu une déclaration dans leurs mosquées pour soutenir les protestations. Des personnalités religieuses sunnites de la région du Baloutchistan –– où les Baloutches, majoritairement sunnites, sont victimes, comme les Kurdes, de discrimination de la part du régime dominé par les chiites –– ont appelé « le clergé et les autorités chiites à rompre leur silence » et à condamner la répression.
Les dirigeants américains mentent sur la révolution de 1979
La presse capitaliste des États-Unis présente le régime réactionnaire iranien comme le produit de la révolution de 1979 qui a renversé la dictature du shah Mohammad Reza Pahlavi, qu’ils soutenaient. En fait, ce régime est issu d’une contre-révolution visant à faire reculer ce pour quoi les travailleurs se sont battus en 1979.
Comme ses prédécesseurs, le shah Pahlavi a approfondi le pillage de l’Iran par les puissances impérialistes sur le dos des travailleurs. Des milliers de personnes ont été torturées pendant des décennies par la SAVAK, police secrète haïe de tous, alors que les shahs imposaient brutalement leur loi.
Les travailleurs étaient à l’avant-garde d’un mouvement révolutionnaire de millions de personnes. Ils ont forcé Pahlavi à fuir le pays en 1979. Ils ont organisé des comités d’usine, appelés shoras, et se sont battus pour que les travailleurs contrôlent leurs conditions de travail. Les nationalités opprimées, dont les Kurdes et les Arabes, se sont battues pour obtenir l’égalité des droits dans les emplois et les écoles, y compris le droit d’utiliser leur propre langue. Les femmes ont forcé le régime à renoncer pendant un certain temps à imposer son code vestimentaire et ont obtenu le droit de participer aux shoras des travailleurs et d’y exercer des fonctions.
Mais sans leur propre parti ouvrier indépendant, leur programme et leur direction, les travailleurs n’étaient pas en mesure de porter au pouvoir un gouvernement des travailleurs et des agriculteurs. En 1982, une répression de grande ampleur menée par le régime du guide suprême, l’ayatollah Ruhollah Khomeini, a rendu impossible le fonctionnement des communistes et des autres courants de la classe ouvrière.
En 1980, avec le soutien des États-Unis, le régime de Saddam Hussein en Irak a envahi l’Iran. La défense de l’indépendance du pays était populaire et de nombreux travailleurs ont été tués en la défendant.
En 1983, le régime a consolidé sa contre-révolution. Les dirigeants iraniens ont utilisé leur puissance militaire et économique pour accroître leur influence contrerévolutionnaire en Irak, en Syrie, au Liban et au Kurdistan divisé. Mais ils ne sont pas parvenus à écarter totalement les travailleurs de la politique nationale. Cette expérience est décrite plus en détail dans l’article du Militant intitulé « Révolution et contre-révolution en Iran ».
Des manifestations antigouvernementales de masse ont éclaté en 2018 et 2019, montrant la profondeur de la colère des travailleurs envers le régime, y compris ses aventures militaires à l’étranger. Les forces gouvernementales ont tué des centaines de personnes lors de ces manifestations.
Se fondant sur l’expérience de la révolution de 1979 et des protestations de 2018 à 2019, les actions récentes inspirent des milliers de travailleurs à faire grève pour des raisons à la fois économiques et politiques. Certains grévistes, comme d’autres manifestants, ont repris le chant « À bas le dictateur ».
Le 26 novembre, les soudeurs du complexe sidérurgique de Bafgh, dans la province de Yazd, ont fait la grève pour protester contre des conditions dangereuses après que deux collègues ont été tués dans une explosion de gaz la veille.
Le Syndicat des camionneurs et des chauffeurs a appelé à la grève dans tout le pays le 26 novembre, entraînant la fermeture d’usines, d’entrepôts, de ports, etc. Les propriétaires-exploitants affirment que le manque de carburant, la hausse du prix des pièces de rechange et toutes sortes de frais rendent la survie difficile. « Le peuple iranien vit sur une mer de pétrole et de gaz, mais à cause de vous, les voleurs, le peuple en est privé », a affirmé le syndicat.
La grève a suscité la solidarité. Un agriculteur a déclaré au syndicat des camionneurs que même si les agriculteurs ne peuvent pas acheminer leur récolte sur le marché, « Nous soutenons ces grèves ».
Débat au sein de la classe dirigeante
L’incapacité du gouvernement à mettre fin aux manifestations creuse le fossé entre différentes factions de la classe capitaliste dominante.
L’Agence de presse des étudiants iraniens, financée par le gouvernement, a décrit le 28 novembre un vif débat entre Hamid Reza Taraqqi, un dirigeant du Parti de la coalition islamique, qui est étroitement allié au parti du guide suprême Ali Khamenei, et Ali Bagheri, vice-ministre des Affaires étrangères du régime, qui, lui, est allié à l’aile « réformiste » des dirigeants capitalistes.
Ali Bagheri a affirmé qu’il soutenait le slogan « Femmes, vie, liberté », qui est populaire lors des manifestations, mais a soutenu que les « éléments malveillants » présents lors des manifestations devaient être séparés des actions et traités comme des « ennemis ».
Hamid Reza Taraqqi a qualifié le slogan « Femmes, vie, liberté » de slogan des partisans des séparatistes kurdes et d’appel à imposer « un mode de vie occidental », que le gouvernement ne peut tolérer.
Les protestations touchent toutes les classes en Iran. Le 21 novembre, 250 traducteurs en Iran ont publié une déclaration. « Nous ne reviendrons pas en arrière », peut-on y lire. Avec des millions de personnes à travers l’Iran, ils réclament « le droit à la liberté d’expression et de pensée, à la liberté de réunion et au libre choix d’un gouvernement démocratique ».